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Tchad : un rapport accablant sur la mort de 44 détenus à N'Djamena en avril


Alwihda Info | Par Info Alwihda - 29 Juin 2020



Des gendarmes escortent un détenu au Tchad. Illustration © Alwihda Info
Des gendarmes escortent un détenu au Tchad. Illustration © Alwihda Info
La Convention tchadienne de défense des droits de l'Homme (CTDDH) a dévoilé un rapport sur la mort de 44 prisonniers dans une cellule de la Légion de Gendarmerie N°10 à Ndjamena le 16 avril 2020.

Le rapport, consulté par Alwihda Info, laisse entendre que ces individus ne seraient "pas des membres de la secte Boko Haram et qu’ils n’avaient par conséquent rien à voir avec elle. Ces personnes n’étaient là que pour justifier la nécessité pour les autorités tchadiennes d’avoir des « prisonniers Boko Haram» à présenter devant un tribunal. Contrairement à la version officielle donc, ces 58 prisonniers n’avaient pas été « capturés pendant le déroulement de l’opération Colère de Bohoma » mais bien après la fin de ladite opération."

Il estime que ce sont "bel et bien les mauvais traitements qui avaient provoqué la mort de ces 44 prisonniers", évoquant "l’épuisement la faim, la soif et surtout la suffocation et l’asphyxie due au manque d’air combiné à la chaleur à l’intérieur de cette cellule (plus de 50 degrés) à cette période de l’année."

Il est précisé que l'argumentation officielle est très peu convaincante : "Certains officiels trouvant l’alibi de dattes empoisonnées commode pour étayer la thèse du suicide se sont empressés d’en faire la base de l’argumentation officielle."

"Une opération militaire menée avec brutalité et sans discernements"

Selon le rapport qui revient sur la chronologie des faits, "du 09 au 12 avril 2020, 70 personnes dont l’âge varie entre 20 et 55 ans en majorité d’ethnie Boudouma et Kouri selon nos sources avaient été arrêtées ; elles faisaient partie des habitants ayant évacué des villages situés à la frontière du Niger et du Nigeria dans les départements de Fouli et de Kaya déclarés zone de guerre."

"Le 13 avril 2020, le gouvernement tchadien annonce avoir capturé 58 prisonniers de Boko Haram. Ces 58 personnes dont la présence n’avait été annoncée que 5 jours plus tard après la fin de l’opération Colère de Bohoma avaient en réalité été arrêtées dans certaines iles de la province du Lac sur simple dénonciation des membres des Comités d’autodéfense", explique le rapport.

Il évoque "une opération militaire menée avec brutalité et sans discernements", avec "la nécessité d'avoir des prisonniers à tout prix."

"Déposés à la Direction générale des renseignements militaires (DGRM) une fois à Ndjamena, ils furent transportés dans les geôles de la SNRJ où ils passèrent la nuit ; le lendemain, c'est-à-dire le 14 avril 2020, ils furent transférés dans les locaux de la légion de Gendarmerie N°10", précise le rapport de la CTDDH.

"Lors de leur présentation à la presse à Bagassola, ces prisonniers étaient au nombre de 70 ; nos sources n’ont pas pu connaitre jusqu’aujourd’hui ce qu’il est advenu des 12 autres puisque seuls 58 d’entre eux sont arrivés à destination."

"Seuls 58 d’entre eux avaient été réceptionnés et enfermés le 14 avril dans cette cellule de la Légion N°10 et le 16 du même mois c'est-à-dire 48 heures après, 44 d’entre eux avaient été retrouvés morts", peut-on lire dans le document de 17 pages.

Une contradiction sur la cause de la mort

Le rapport met en lumière "de très mauvais traitements subis par ces 58 prisonniers". Selon la CTDDH, les détenus ont été "maintenus trois jours sans vraie nourriture ni eau", dans une "cellule exigüe". Des détails précis sont donnés sur les dimensions de la cellule : 6m de longueur sur 3,5m de largeur et 3 mètres de hauteur, avec deux petites fenêtres de 50x30 cm, une porte métallique d'environ 70x180 cm, avec un petit trou pour le contrôle des gardes.

La cellule "n'a été ouverte qu'une seule fois en 48 heures" (une vingtaine de minutes au cours de la visite du Procureur), tandis que les détenus ont été "enfermés dans une cellule mal aérée et à très forte température" (température qui aurait dépassé les 50°C).

Des cris de détresse des détenus

Le rapport relève un "refus des gardiens d’ouvrir la porte malgré les cris de détresses des détenus et les coups violents assenés sur la porte."

"Ces coups et les cris qui les accompagnaient avaient commencé dans la soirée du 15 avril à environ 18 heures et se sont prolongés durant toute la nuit jusqu’au lendemain 16 avril 2020 à 8 heures 30 mn environ", d'après le rapport. Il ajoute que "ces coups et les cris qui les accompagnaient étaient encore perceptibles par certaines personnes du voisinage le 16 avril entre 4 heures et 6 heures du matin."

"Un gendarme qui requiert l’anonymat nous affirme que les gardes avaient reçu des instructions de n’ouvrir la porte de cette cellule sous aucun prétexte", précise la CTDDH dans son rapport.

Mettre en place une commission d’enquête internationale

La CTDDH recommande notamment la mise en place d’une commission d’enquête internationale, l’arrestation du Commandant de légion N°10 et des gendarmes qui avaient assuré ce jour la garde de ces prisonniers, l’arrestation du gouverneur de la province du Lac, et la détermination de l’endroit où se trouvent les 12 prisonniers disparus entre Bagassola et N’Djamena.

Le rapport préconise la libération immédiate des 14 survivants des 58 personnes injustement arrêtées et leur mise à la disposition de la Commission d’enquête internationale et la restitution de leurs biens et bétails saisis par les autorités gouvernementales.

Selon l'Organisation, "cette affaire dont la gravité n’échappe à personne recèle des zones d’ombre qu’il conviendrait d’approfondir afin de mieux situer les responsabilités au sein de l’appareil étatique tchadien."



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)