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AFRIQUE

Crise du Mali : un défi africain


Alwihda Info | Par Eugène WOPE - 16 Avril 2013


La crise que le Mali traverse actuellement est symptomatique des désordres qui risquent de se multiplier en Afrique dans les années avenirs. Du fait de la radicalisation croissante de mouvements religieux, d’inspiration salafiste pour l’islam et charismatique pour le christianisme. Du fait également de la mondialisation qui a étendu à la planète entière le champ d’action des organisations criminelles. Du fait enfin de faiblesse de nombreux états, gangrénés par une corruption endémique à tous les niveaux qui sape les bases du développement et condamne la majorité de la population à la misère.
Il est important de bien cerner les enjeux géostratégiques de cette crise, afin de comprendre la nécessité d’agir immédiatement pour en circonscrire les effets avant qu’il soit trop tard, ainsi que celle de lui apporter une solution globale et durable.


ENJEUX GEOSTRATEGIQUES.
Les impacts de la crise au Mali vont bien au-delà de ce pays. L’Afrique sahélienne toute entière ainsi que l’Europe sont directement exposées aux menaces qui en émergent.

Pour l’Afrique.
Il est clair qu’avec une sanctuarisation d’un régime islamique fondamentaliste au Mali, d’autres pays d’Afrique de l’ouest auraient été dans le viseur de ces islamistes à plus ou moins brève échéance, compte tenu de la nature agressive et expansionniste du jihadisme qu’ils professent. Cette menace ne se limite pas à l’Afrique de l’ouest. L’observation d’une carte du continent laisse apparaitre immédiatement qu’avec le Mali aux mains des fondamentalistes, un pays comme le Cameroun serait pris en tenaille et ne pourrait échapper à terme à la déstabilisation. Sur sa frontière ouest, au nord du Nigéria, sévit déjà le groupe Boko Haram qui orchestre des attentats spectaculaires et meurtriers, et qui ne manquerait pas de chercher à se renforcer par une jonction avec un état islamiste établi au Mali à travers le fragile Niger. Sur son flan est, il y a la poudrière de la Centrafrique, pays en proie à des rebellions armées récurrentes, aux incursions de braconniers à cheval lourdement armés provenant des zones troublées à la frontière soudano-tchado-centrafricaine et de fanatiques religieux de l’armée de résistance du seigneur (LRA) de l’Ougandais Joseph Kony. Il n’échappe d’ailleurs pas à un observateur attentif que cette déstabilisation du Cameroun a déjà commencé, avec les raids spectaculaires de ces braconniers dans les parcs nationaux du nord du pays qui déciment des troupeaux entiers d’éléphants pour leur ivoire, au point de menacer la survie de cette espèce dans la région. La récente prise en otage de 7 touristes français dans le parc de Waza au nord Cameroun, revendiquée par une branche du mouvement Boko Haram, renforce ce constat alarmant.
On ne peut qu’être surpris par la passivité des autorités camerounaises face à la manifestation de tous ces signes de danger, jusqu’à cette récente prise d’otages occidentaux. Cet événement douloureux a provoqué (enfin !) une réaction plus vigoureuse dont on ne peut que se féliciter, mais dont on peut se demander si elle n’est pas plus motivée par la relation spéciale d’allégeance que les pays francophones d’Afrique entretiennent avec l’ancienne puissance coloniale, que par la prise de la mesure du danger qui se concrétise chaque jour d’avantage aux frontières du pays. Il serait naïf de la part des autorités camerounaises de croire que leur pays peut être à l’abri de tentatives d’infiltration de groupuscules islamistes extrémistes très actifs chez le voisin nigérian, compte tenu de la proximité ethnique et religieuse du nord Nigéria et du Nord Cameroun. Il est plus probable que des cellules dormantes de ces mouvements radicaux sont déjà implantées sur le territoire camerounais, n’attendant que le moment opportun pour passer à l’action. Les autorités camerounaises ne semblent pas préparés à affronter cette éventualité, et c’est inquiétant.
On a parfois prêté au président Paul Biya du Cameroun, à tord de mon point de vue, la vertu de fin stratège, son silence énigmatique en presque toute circonstance donnant l’impression d’une prise de hauteur pour faire les choix les plus judicieux. Ne prenant aucun risque, il ne risque pas d’être pris en défaut, et ce faisant il maintient du même coup le pays tout entier dans un attentisme sclérosant et destructeur. Cet immobilisme ne doit pas être pris pour une posture d’introspection et de réflexion, c’est plutôt l’expression d’une indolence caractéristique de ce président, qui a réussi ce tour de force d’ériger la paresse et l’insouciance en art de gouverner. L’empressement des autorités camerounaises à diligenter toutes les actions nécessaires en vue de retrouver ces otages occidentaux honore le Cameroun et les Camerounais. Il laisse cependant un gout amer et un profond sentiment d’injustice lorsqu’on considère l’indifférence avec laquelle ces mêmes autorités traitent des affaires de disparition de ses propres ressortissants, comme l’affaire du vol du bébé de la jeune Vanessa Tchatchou en août 2011 à l’hôpital gynéco obstétrique et pédiatrique de Ngousso à Yaoundé [1] (affaire jusqu’ici non élucidée malgré les évidences de la complicité de certains personnels de cet hospice peu recommandable, et l’existence d’indices troublants sur lesquels la justice camerounaise n’a jamais cherché à se pencher sérieusement), ou la disparition mystérieuse de l’ingénieur forestier Melvin Tchamba Ngassa en mission de service au Congo Brazzaville [2], ou encore les horribles crimes rituels d’enfants et de jeunes filles qui se sont multipliés ces derniers temps à Mimboman un quartier périphérique de Yaoundé, pour ne citer que quelques cas parmi les plus saisissants.
Il est par conséquent évident que le problème malien ne concerne pas que le Mali. Au-delà des pays immédiatement limitrophes du Mali, l’Afrique sahélienne toute entière comprenant le Cameroun, constitue de fait la cible désignée de cette version africaine du jihadisme des temps modernes qui a pris pied à l’est du continent avec les islamistes Shebab somaliens, et qui s’étend vers l’ouest avec des groupuscules radicaux tels que Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Boko Haram. Cette poussée fondamentaliste est d’autant plus inquiétante que des indices laissent penser qu’elle pourrait bénéficier du soutien plus ou moins direct de certaines monarchies pétrolières du Moyen Orient, au nom d’un islam « pur » et condescendant à l’égard d’une pratique africaine multiséculaire et spécifique de cette religion. Contenir une telle menace doit constituer une priorité dans l’agenda des instances africaines, de l’Union Africaine (UA) à la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Pour l’Europe.
Cette crise au Mali menace directement l’Europe en son sein ainsi que ses intérêts en Afrique. Un Mali aux mains des islamistes installerait un sanctuaire jihadiste dans le proche voisinage de l’Europe, accroissant sur cet espace le risque d’une propagation du radicalisme religieux ainsi que des attentats terroristes. Cela faciliterait en outre l’activité des réseaux de trafic de drogue approvisionnant l’Europe, dont la collusion avec les mouvements islamistes sévissant aujourd’hui au Mali est avérée. Tirant parti de l’effondrement de l’Etat malien, mal-gouverné et corrompu à tous les niveaux, ces mouvements islamistes se sont alliés aux trafiquants de drogue pour se financer, lorsqu’ils ne se livrent pas eux-mêmes directement à la contrebande de produits divers (le chef jihadiste Mokhtar Belmokhtar surnommé le « Borgne » est également surnommé « Marlboro » du fait de ses activités de trafic de cigarettes). Ils se sont également spécialisés dans la prise d’otages occidentaux en vue d’exiger une rançon pour leur libération. Ils constituent enfin une menace constante pour les intérêts économiques occidentaux dans la région (comme les mines d’uranium au Niger ou l’exploitation de gaz d’In Amenas en Algérie).

NECESSITE D’AGIR.
Il était donc impératif, du point de vue des Africains mais également de l’Europe et de la France en particulier, non seulement de stopper l’avancée de des islamistes, mais également de rechercher et détruire leurs bases de replis dans le Sahara, qui pourraient leur servir d’abris pour reconstituer leurs forces et revenir à l’assaut.
La nécessité d’agir était renforcée par les terribles destructions du précieux patrimoine culturel du Mali perpétrées par ces islamistes. Nous avons tous ressenti une douleur indicible à la vue de précieux manuscrits et mausolées du Mali réduits en cendre et en poussière par des terroristes ignares et fanatisés, le caractère irréparable de ces pertes donnant une allure d’apocalypse à la scène ! Ce drame n’est pas sans rappeler la destruction des bouddhas géants de Bâmiyân en Afghanistan par les talibans afghans en 2001. Ces extraordinaires vestiges historiques du Mali, multiséculaires, constituent peut-être le patrimoine ancien le plus précieux subsistant en Afrique, en dehors l’Egypte. La préservation de ce trésor historique pouvait à elle seule justifier l’usage de la force pour sauver ce qui pouvait encore l’être.
D’où l’irresponsabilité et l’aveuglement d’une certaine élite intellectuelle africaine qui s’oppose par principe à toute intervention étrangère, celle-ci constituant à ses yeux une violation de souveraineté insupportable, intolérable, et en poussant leur logique au bout plus insupportable que les destructions de prestigieux patrimoines culturels, plus insupportable que les souffrances humaines infligées par ces hordes incultes et barbares. Telle semble être la posture absurde adoptée par la romancière Calixthe Beyala, dont les prises de positions déconcertantes et même dangereuses (sur la Côte d’Ivoire, sur la Lybie, et maintenant sur le Mali) seraient d’avantage à leur place dans les romans qu’elle écrit par ailleurs de manière merveilleuse, que dans le commentaire d’une actualité qu’elle ne comprend pas. Ou de l’écrivaine et femme politique Aminata Traoré, qui fait de la dénonciation compulsive de l’occident son fond de commerce, semblant rechercher à tout prix une confrontation avec cette dernière pour exister, et qui s’est distinguée et sans doute décrédibilisée, par son soutien hâtif (opportuniste ?) au coup d’état hasardeux et irresponsable du capitaine Sanogo. Il est bien évident qu’une intervention étrangère, quelle qu’elle soit, constitue de fait une dette dont le Mali devra s’acquitter, et que la France est également motivée par la protection de ses intérêts économiques et le sort de ses otages. Mais il eût été insensé que ces considérations conduisirent à ne rien faire et à abandonner les Maliens à leur triste sort, au nom d’une souveraineté africaine qui n’a pas aujourd’hui les moyens de ses ambitions. Bien entendu l’Afrique se doit à terme d’être en mesure d’assurer sa propre sécurité. Cela n’est pas le cas aujourd’hui. A l’allure où évoluaient les choses, le Mali aurait été entièrement conquis par les islamistes longtemps avant que la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) et la CEDEAO mettent sur pieds une force d’intervention africaine. Dans ce contexte, l’intervention française au Mali était la bienvenue, sous deux conditions : définir clairement l’objectif de cette intervention qui doit être de « faire en sorte que le drapeau malien flotte sur toute l’étendue du territoire », et préciser un calendrier de retrait des troupes françaises. La position officielle de la France s’accorde bien à ces conditions, et de ce point de vue les intérêts de la France et ceux du Mali ne divergent pas.
Cette intervention française ne résout pas complètement le problème malien, il n’est d’ailleurs ni opportun ni souhaitable qu’une solution soit imposée par la France. C’est d’abord aux Maliens de profiter du sursis procuré par cet appui extérieur pour rechercher et trouver la bonne organisation permettant à leur pays d’assurer sa propre défense et de résoudre durablement ses contradictions internes.

ELEMENTS INCONTOURNABLES D’UNE SOLUTION GLOBALE ET DURABLE.
La solution du problème malien devra s’appuyer sur ces éléments incontournables :
• Restaurer l’intégrité du territoire, avec un désengagement rapide de la force militaire française pour la remplacer par une force africaine agissant dans le cadre d’un mandat clair dans ses objectifs et limité dans le temps, en attendant la reconstitution des forces armées et de police maliennes pour prendre le relais.
• Gérer l’après-guerre. Cet objectif est le plus difficile à atteindre, mais également celui pouvant permettre d’obtenir la réconciliation de tous les Maliens et de mettre en place les conditions d’une paix durable, qui passe nécessairement par le développement.
Ces points sont développés ci-après.

Restaurer l’intégrité du territoire malien et l’autorité de l’Etat malien sur l’ensemble du territoire.
Une victoire militaire totale sur les islamistes est indispensable. L’action armée doit conduire à briser les reins d’AQMI dans la région, ainsi qu’à neutraliser les groupes fanatisés du MUJAO et d’Ansar Dine.
Bien que la France n’ait plus aujourd’hui véritablement les moyens de jouer tout seul son rôle historique de gendarme de l’Afrique, elle peut néanmoins apporter des appuis décisifs, notamment aux niveaux de la logistique et du renseignement, pour aider les troupes africaines à combattre efficacement les mouvements extrémistes violents qui menacent la stabilité du continent tout entier. La menace est d’autant plus sérieuse que ces derniers s’appuient souvent sur le brigandage (piraterie, prises d’otage) et le trafic de drogue pour se financer. Il est nécessaire, et c’est intérêt de l’Afrique, que cette dernière prenne une part effective et active aux combats sur le terrain au Mali. De cette manière les forces africaines pourront progressivement monter en compétence dans la lutte contre le terrorisme et les trafiquants de tous ordres qui ont malheureusement ciblé ce continent pour étendre leurs zones d’activités, profitant de la faiblesse et de la corruption endémique des Etats. C’est ainsi que les remarquables succès militaires des troupes du Tchad, qui seraient à l’origine de l’élimination spectaculaire de l’islamiste Abou Zeid et du chef jihadiste Mokhtar Belmokhtar dit « le Borgne », encore appelé « Marlboro » du fait de son implication dans le trafic de cigarettes à vaste échelle, sont de nature à donner confiance dans la capacité de l’Afrique à se doter de forces militaires capables de vaincre ce péril. Les militaires tchadiens combattent courageusement au contact des islamistes, autant sinon plus encore que l’armée française qui doit ménager une opinion publique qui supporterait mal un nombre de victimes élevé dans les rangs des soldats français.
Ces succès de premier plan font la fierté du continent. Outre l’effet qu’ils ont sur le moral des troupes, ils peuvent encourager les Africains à affirmer une plus grande autonomie par rapport à l’ancienne puissance coloniale aux côtés de laquelle ils combattent sans démériter, et leur donner une opportunité d’entamer un rééquilibrage de leurs relations avec cette dernière. L’insistance du président tchadien Idriss Deby à annoncer l’élimination de ces chefs islamistes de premier plan par ses troupes combattantes s’inscrit sans aucun doute dans cette démarche. Elle contraste avec la communication ambigüe de l’armée française et du gouvernement français sur cette question, ces derniers auraient sans doute souhaité maîtriser le timing d’une telle annonce, et peut-être étaient-ils également frustrés que de tels exploits ne soient pas à mettre au compte de leurs propres soldats ? L’efficacité des troupes combattantes tchadiennes semble même avoir surpris l’état major français, qui regarde sans doute aujourd’hui avec un peu plus de respect son homologue tchadien. Mais on ne peut exclure que cette retenue de la France soit une tactique visant à préserver la vie de ses otages aux mains des islamistes, par crainte de leur exécution en signe de vengeance. Il n’en demeure pas moins qu’un otage mort ne présente plus aucun intérêt pour les preneurs d’otages alors que vivant, il constitue un puissant moyen de chantage et une source potentielle de confortables revenus sous forme de rançon.

Gérer l’après guerre.
La résolution de la crise malienne passe après la guerre, par une solution politique conduisant à la réconciliation nationale ainsi qu’à des perspectives de développement pour toutes les régions du Mali. Elle devra prendre en compte en priorité les points suivants :
• Réorganiser l’état et restaurer son autorité sur l’ensemble du territoire.
• Prévenir et empêcher les règlements de comptes que pourraient subir certaines minorités maliennes accusées à tord ou à raison d’entente avec l’ennemi. De telles actions risqueraient de compromettre durablement les chances de trouver les compromis nécessaires pour une cohabitation durable entre les différentes communautés du Mali.
• Prendre en compte les demandes légitimes des Touareg dans le cadre d’un dialogue incluant toutes les composantes du Mali, en particulier toutes les communautés du nord du Mali.
• Trouver des réponses appropriées pour le développement de toutes les régions du Mali.
Une gestion réussie de l’après guerre est seule à même de créer les conditions d’une paix durable.

Réorganiser l’Etat et restaurer son autorité.
La résolution 2285 de l’ONU du 20 décembre 2012 prévoit une aide à « reconstituer la capacité des forces armées maliennes » pour permettre aux autorités de reprendre le contrôle des zones du nord du pays, tout en préservant la population civile. Cette résolution a ouvert la voie à l’intervention militaire de la France et des pays africains. Si la reconquête totale du pays semble à portée, l’armée et le gouvernement maliens n’ont pas aujourd’hui la capacité de maintenir les positions reconquises. Il est donc nécessaire que la communauté internationale aide le Mali dans une phase transitoire de reconstruction, par le déploiement d’une force en mesure de mener des opérations militaires pour empêcher le retour des islamistes, idéalement dans le cadre d’un mandat de maintien de la paix de l’ONU appuyé par l’UA. Le Mali doit mettre à profit ce délai pour réorganiser son gouvernement et son armée en vue de la relève.
Avant tout, il est nécessaire de neutraliser politiquement le capitaine Sanogo, à l’origine du coup d’état inutile ayant précipité l’effondrement du pays il y a un an exactement, en mars 2012. Les observateurs se sont vite rendu compte que ce soldat, qu’il faut bien considérer comme un aventurier, était moins motivé par une réelle volonté de défendre la patrie en danger, que par son opportunisme et son ambition de devenir « khalife à la place du khalife » pour tirer à son tour parti des privilèges attachés au pouvoir. Depuis lors, il n’a cessé de s’ingérer de manière intempestive dans les affaires du pays, toujours pour protéger les privilèges qu’il estime lui être dus, jamais pour défendre l’intérêt général, ses complices de la junte s’illustrant d’avantage par des actions de terreur menées contre les civils et les autorités intérimaires affaiblies, que sur le front des combats.
Une fois rétabli dans son autorité, le gouvernement légitime du Mali doit s’atteler à organiser le dialogue entre toutes les composantes de la société en vue d’établir les bases de la réconciliation et en vue de déterminer un nouveau mode d’organisation politique du pays répondant aux attentes de toutes ses composantes. La Commission Dialogue et Réconciliation (CDR) récemment constituée doit mettre sur la table de discussion tous les sujets de discorde et réunir autour de cette table toutes les composantes de la société malienne sans exclusive. Il faudra en particulier aborder sans tabou l’épineuse question de la rébellion Touareg, l’élément indirectement déclencheur de la crise actuelle. Il est clair que la forme que prendra la nouvelle organisation du pays doit être définie par les Maliens eux-mêmes. Elle ne peut être dictée de l’extérieur, par la France ou la communauté internationale. Elle doit prendre en compte les aspirations légitimes de tous les Maliens y compris les Touareg, et mettre en place les institutions appropriées pour veiller aux intérêts de toutes les communautés du pays. Cela peut passer par l’autonomie, la fédéralisation, la décentralisation des pouvoirs ou toute autre formule, mais c’est avant tout aux Maliens d’en décider. Elle doit aussi permettre de jeter les bases du développement pour l’ensemble des régions du Mali afin d’ancrer la paix durablement sur l’ensemble du pays.

Empêcher les règlements de compte.
La réconciliation de tous les Maliens sera facilitée si les autorités du pays parviennent à empêcher les règlements de compte et les vengeances que les combattants de la 25ième heure sont toujours prompts à exécuter une fois que la victoire se dessine. L’ONU et la communauté internationale sont bien avisés de s’inquiéter dès à présent de tels risques sur les communautés Touareg, Arabe et même Peuhle accusées à tord ou à raison d’avoir collaboré avec les ennemis du pays. Certains Maliens – de nombreux indices mettent aujourd’hui en cause des militaires maliens – volant au secours de la victoire, pourraient être tentés d’appliquer une justice expéditive à ces « traitres à la nation » désignés comme tels et livrés à la vindicte populaire. Cela s’est vu récemment en Lybie après la victoire des insurgés, ou en Irak à la chute de Saddam Hussein, ou encore en France à la fin de la seconde guerre mondiale. De tels dérapages doivent absolument être évités. Ils comportent un risque d’arbitraire très élevé, ils sèment entre des communautés devant cohabiter au sein d’un même pays les graines du cycle de la violence et des représailles qui ont parfois conduit à des drames absolus comme celui du génocide au Rwanda en 1994. En particulier, les militaires maliens soupçonnés de tels actes doivent être jugés et punis sans clémence si leur culpabilité est établie, leur peu de motivation à monter au front et au contact de l’ennemi pour le combattre aggravant leur cas.
Il faut cependant être clair. S’il est absurde de tenir ces communautés dans leur ensemble pour responsable, il est également avéré que certains de leurs membres se sont rendus coupables d’entente avec des groupes menaçant l’indépendance et la paix du Mali. De ce point de vue, il sera nécessaire que les autorités maliennes diligentent les enquêtes idoines en vue d’identifier les principaux responsables de cette trahison afin qu’ils soient jugés dans le cadre d’un procès juste et équitable. De cette manière, est assuré le devoir de protection de l’individu contre des atteintes à ses droits du seul fait de ses origines ethniques (prévenir le risque de stigmatiser un individu pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a fait), et est rappelé à tout Malien le devoir de respect et de défense de la mère patrie commune.

Prendre en compte les demandes légitimes des Touareg.
L’avancée des islamistes au Mali a été facilitée par des alliances hasardeuses nouées par la rébellion Touareg composée principalement du MNLA Mouvement National de Libération de l’Azawad revendiquant l’indépendance du nord Mali, et d’Ansar Dine mouvement salafiste prônant l’application de la charia au nord Mali, avec le groupuscule terroriste AQMI qui vise à constituer dans la zone du nord Mali une base de replis lui permettant d’échapper à la guerre sans merci que lui livrent les gouvernements Algérien et Mauritanien. Une partie de la communauté Touareg du Mali s’est trouvée embarquée dans cette collaboration explosive, que d’autres Maliens peuvent à raison percevoir comme de la haute trahison. La rébellion Touareg du Mali ne doit cependant pas être assimilée avec les mouvements islamistes prônant le jihad et la charia. Son origine remonte aux premières années suivant l’indépendance de ce pays en 1960, elle pose un problème récurrent et commun à la majorité des pays Africains issus de la colonisation : la difficile cohabitation de communautés différentes et parfois antagonistes au sein d’états dont les frontières héritées du colonialisme, sont dessinées de manière arbitraire. Sur cette base, il faut considérer que les revendications des Touareg sont fondées et il faut les prendre en compte si on veut trouver une réponse globale et durable à la crise du Mali. Pour appréhender toutes les dimensions du problème Touareg au Mali, il est également nécessaire reconsidérer les proportions de la composition géo-ethnique de ce pays [3]. Les Touareg ne sont pas, et loin s’en faut, les populations majoritaires du nord Mali bien que leur cause soit la plus médiatisée [4]. La rébellion Touareg avec ses principaux mouvements MNLA et Ansar Dine ne représente qu’une fraction des Touareg. Ces derniers eux-mêmes ne constituent à leur tour d’une fraction de la population du nord Mali, lequel nord Mali bien que très étendu (60% du territoire), ne représente qu’une fraction de la population malienne globale. Pour être plus précis, les Touareg représentent approximativement avec les minorités Maure et Arabe 10% de la population du nord Mali, et cette dernière représente 10% de la population totale du Mali. On comprend ainsi que même dans le nord Mali, la revendication indépendantiste n’est pas généralisée. De même l’utilisation sans discernement des termes Azawad et « population de l’Azawad » peut laisser croire en l’existence d’une communauté du nord Mali homogène et surtout unanime dans sa revendication d’indépendance : ça n’est pas le cas ! Ceci ne remet pas en cause la légitimité d’une rébellion Touareg, mais illustre la complexité du problème.
Sur cette question Touareg, la France entretient une ambiguïté qui n’est pas propice à la recherche d’une solution équilibrée. Par exemple tout en parlant de relation fonctionnelle entre les troupes françaises et le MNLA dans sa traque des islamistes au nord Mali, la France semble traiter ce mouvement avec beaucoup d’égards, au point peut-être de laisser deviner une sympathie non avouée pour une solution de partitionnement bien que par convenance autant que pour des raisons tactiques, les officiels français réfutent toute ingérence dans l’élaboration de la future organisation du Mali. C’est ainsi que le refus de la France sur la demande du MNLA, de laisser l’armée malienne pénétrer à Kidal (leur propre pays) aux côtés des soldats français est un camouflet infligé ouvertement au Mali qui ne peut qu’affaiblir d’avantage l’autorité de son gouvernement (ou ce qui en reste) et conforter la défiance des factions séditieuses à l’égard de ce dernier. Cela est de nature à aggraver la rupture de confiance qui existe entre les différentes communautés du Mali. Il eût été plus judicieux que la France marque au moins publiquement son refus de céder à ce qu’il faut bien considérer comme un chantage du MNLA, même si dans le souci d’efficacité des arrangements sont trouvés pour limiter les contacts entre les forces armées maliennes et cet allié circonstanciel. Cela était à la portée de la France.
Pour apporter la bonne réponse au problème du Mali, il convient de considérer avant tout l’intérêt réel des populations dans leur ensemble. La partition du territoire en deux états indépendants est une solution possible, mais elle n’est ni la seule ni même peut-être la plus appropriée. Bien qu’une telle solution soit tentante pour certains belligérants non dénués d’arrière pensées, elle ne constitue pas la panacée. Elle peut facilement être détournée de ses objectifs pour ne servir uniquement qu’à créer une nouvelle élite s’accaparant du nouvel état sans pour autant améliorer le sort sa population, et parfois en aggravant celui-ci. Dans bien des cas le problème n’est pas l’indépendance, mais l’amélioration des conditions de vie tout simplement. Cette amélioration passe par le développement.

Poser les bases du développement, seule garantie d’une paix durable.
En réalité, le véritable défi auquel le Mali est confronté est le déficit de développement et l’inégalité de la répartition des richesses du pays. La rébellion Touareg est pour une bonne part la conséquence de la pauvreté et de la carence des infrastructures de développement qui frappe le nord du pays. Il est vrai qu’elle tire également sa source dans les antagonismes historiques existants entre les groupes ethniques nomades auxquels se rattachent les Touareg, et les populations sédentaires dans les régions sahéliennes. Cependant de telles oppositions ont tendance à s’estomper lorsque les conditions économiques permettent au plus grand nombre d’individus d’accéder à une vie décente.
Le développement nécessite des moyens, à la fois financiers et en infrastructure. Les pays Africains peuvent et doivent tirer un meilleur parti de l’exploitation des ressources naturelles (minières et agricoles) qui procure une part significative de leurs revenus. Ils en sont malheureusement loin aujourd’hui. Une trop grande partie des revenus générés sur ce continent est captée par les multinationales qui y opèrent. Avec la complicité d’une élite corrompue et indifférente à l’intérêt général. Une élite qui signe sans états d’âme de mauvais accords économiques, motivée par des pots de vins qui ne se cachent même plus, ou simplement par une diligence naïve et servile à l’égard de l’ancienne puissance coloniale ou de corporatismes initiatiques qui se sont considérablement développés sur le continent au cours des dernières décennies (obédiences maçonniques, cercles rosicruciens …). C’est de cette manière que peuvent s’expliquer les profits gigantesques que certaines multinationales réalisent en Afrique. Par exemple l’Afrique n’a représenté en 2011 que 25% des ventes du groupe Bolloré mais 80% de ses bénéfices [5]. Les bénéfices annuels du groupe Total dépassent 12 milliards d’euros depuis plusieurs années, provenant pour une part significative de ses activités d’extraction en Afrique noire qui représentent plus de 42% de sa production de liquides (pétroles et condensats) [6]. Cette opulence du groupe Total contraste de manière choquante avec le dénuement des pays d’Afrique où il extrait ses hydrocarbures, comme le Gabon ou le Congo, ou même le Cameroun, qui sont chroniquement à cours de financement et souvent contraints à des courbettes humiliantes pour obtenir un « petit » prêt de quelques dizaines de millions d’euros. Les contrats avec lesquels ces multinationales opèrent aujourd’hui en Afrique doivent être renégociés pour un partage plus équilibré des revenus avec les pays producteurs. Cela est possible, le Venezuela l’a fait, ce qui a permis à ce pays d’accroitre considérablement ses revenus pétroliers et de pouvoir engager de vastes programmes sociaux et d’infrastructures. La Norvège donne également un exemple de ce qu’il faut faire. La rente pétrolière a permis à ce petit pays d’à peine 5 millions d’habitants, d’améliorer considérablement le niveau de vie de ses habitants au point de le hisser parmi les plus élevés au monde, et d’amasser le premier fonds souverain au monde, estimé à 664 milliards d’euros à la fin de l’année 2012, qui met le pays à l’abri pour plusieurs générations [7].
L’exemple que le Mali doit suivre est celui du Venezuela et non de l’Angola, celui de la Norvège et non de la Guinée Equatoriale. Ainsi, le Mali pourra mettre à profit les réserves minières prometteuses du nord du pays, pour améliorer le bien être de l’ensemble des Maliens, et pour créer les conditions d’une paix durable. C’est également cette voie que toute l’Afrique noire doit suivre [8].

Eugène Wope
26/03/2013


[1] http://ewope.over-blog.com/article-affaire-du-bebe-vole-de-vanessa-tchatchou-comment-en-sommes-nous-arrive-a-accepter-l-inacceptable-106996501.html
[2] http://ewope.over-blog.com/article-mobilisons-nous-pour-retrouver-l-ingenieur-melvin-tchamba-ngassam-disparu-au-congo-107789554.html
[3] http://col71-lesdimes.ac-dijon.fr/IMG/pdf/Population_du_Mali.pdf
[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/Conflit_malien_de_2012-2013
[5] http://www.agenceecofin.com/bourses/0603-9382-l-afrique-represente-80-des-profits-du-groupe-bollore
[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/Total_%28entreprise%29
[7] http://fr.wikipedia.org/wiki/Government_Pension_Fund-Global
[8] L’espoir peut être permis par l’exemple du président ougandais Yoweri Museveni qui exige que le pétrole ougandais soit transformé sur place alors que Total veut exporter le pétrole brut : http://www.agenceecofin.com/hydrocarbures/2603-9790-total-veut-exporter-le-petrole-ougandais-mais-museveni-veut-le-transformer-sur-place




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