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Fixer des objectifs professionnels : un jeu de yo-yo qui vire au casse-tête


Alwihda Info | Par - 4 Janvier 2016


Mais peu importe la complexité des méthodes utilisées pour estimer les objectifs de l'année n+1: les prévisions «remontent» au siège et redescendent... complètement remaniées, n'ayant plus rien à voir avec les savants calculs d'apothicaire des DAF de proximité.


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Quel sera, finalement, votre objectif pour l'exercice 2016 et comment allez-vous justifier que vous ne l'atteindrez pas : voilà le sport national auquel s'adonnent les comités directeurs en ce mois de janvier.

Comme toujours, cela commence par une question : «Combien allez-vous réaliser l'année prochaine ?» Tous les services sont mobilisés pour élaborer des prévisions réalistes, tenant compte de tous les paramètres du marché, mais visant aussi à donner une image pêchue et dynamique de l'équipe, tout en évitant de lui fixer des défis délirants et démotivants. De la haute voltige, cette période des budgets...

Mais peu importe la complexité des méthodes utilisées pour estimer les objectifs de l'année n+1: les prévisions «remontent» au siège et redescendent... complètement remaniées, n'ayant plus rien à voir avec les savants calculs d'apothicaire des DAF de proximité. Souvent l'objectif a doublé, sinon triplé. Il s'est totalement détaché du réel au contact de dirigeants obnubilés par les cours de Bourse, les humeurs des analystes financiers et les exigences de l'actionnaire.

Dès lors commence un festival de window dressing: sachant que votre objectif est impossible à atteindre car il a été fixé en piétinant les prévisions de vos équipes - avec l'accusation sous-jacente, mais jamais formulée, que des paresseux ont sciemment minimisé les données pour se la couler douce -, tous les coups sont permis pour trouver une porte de sortie honorable et conjurer cette catastrophe annoncée. Les prévisions annuelles sont un rituel incantatoire, au même titre que l'invocation compulsive de la croissance par les gouvernements.
 

On se lance donc dès janvier dans un cycle infernal, deuxième acte de cette dramaturgie bien huilée : atterrir «en ligne» avec les chiffres avancés un an plus tôt. Eviter les deltas positifs ou négatifs qui attireraient l'attention d'un Grand Dirigeant là-haut, lequel pourrait vous passer un coup de téléphone pour s'inquiéter du fait que vous avez dépassé vos prévisions. Elaborer, au fil des actualisations trimestrielles, les bonnes excuses qui font dégonfler l'hystérie de l'objectif. Pour vivre heureux, vivons dans l'axe. A tel point que certains inscrivent dans leurs prévisions des projets qu'ils savent condamnés... mais qui permettront d'expliquer les écarts en fin d'année.

Les problèmes changent de nature quand ils changent de dimension. Tant que l'entreprise grandit, elle est préoccupée de conquête et de performance. A partir d'une certaine taille, son obsession se transforme et ses mots d'ordre deviennent : prévision, contrôle.

Dès lors, une partie de son énergie se détourne de l'exercice de son métier pour se consacrer à la recherche obsessionnelle de maîtrise du risque. Quitte à chasser les profils atypiques, créatifs, innovants. Quitte à consolider interminablement des prévisions qui, au fur et à mesure qu'elles grimpent dans l'organigramme, relèvent de plus en plus de la fiction. C'est ainsi que le réel est graduellement remplacé par une narration lénifiante, dont chacun s'accommode: celle d'un fonctionnement contrôlable et rassurant, éliminant la violence et le hasard. Quitte à démotiver les communautés de travail et à les obliger à tricher pour survivre.

 

Mahamat Ramadane
Journaliste-reporter Alwihda Info. Tél : +(235) 63 38 40 18 En savoir plus sur cet auteur



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