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Interview : L'avocat de H. Habré se confie au quotidien L'Observateur.


Alwihda Info | Par Djamil @ - 8 Décembre 2008



Interview : L'avocat de H. Habré se confie au quotidien L'Observateur.

Interview accordée par Me François SERRES, Avocat de HABRÉ, au quotidien sénégalais L'Observateur.



Dans la requête introduite par l'ancien Président Tchadien Hissène Habré à la cour de Justice de la Cedeao, figurent deux noms d'avocats. Me Mamadou Ismaéla Konaté, malien de nationalité et Me François Serres, bien connu du Barreau français. Ce dernier que nous avons pu interroger sur le sens de la requête engagée par l'Etat du Sénégal, donne les arguments qui justifient la saisine de la cour de justice de la Cedeao. Et l'Etat du Sénégal en prend pour son grade.


Vous avez déposé une plainte auprès de la Cour de Justice de la Cedeao. Pourquoi avez-vous ouvert cette brèche alors qu'aucune procédure n'est encore mise en œuvre au Sénégal ?

Le problème pour nous est de voir si oui ou non, avant même que le procès ne s'annonce et commence, est-ce qu'il y a eu des violations dans tout ce processus qui vise à rejuger Habré. Lorsque le procès va commencer, nous aurons des choses à dire. Mais aujourd'hui, avant même que ce procès ne commence, nous avons constaté un certain nombre de violations. Et nous constatons d'ores et déjà que les conditions dans lesquelles pourraient se dérouler laissent entrevoir des violations dès aujourd'hui des droits de l'homme. Sans même que le procès commence. C'est pourquoi nous avons jugé utile, qu'une juridiction supérieure puisse indiquer au Sénégal que les modalités d'organisation de ce procès ne sont pas légitimes.

Mais aucune procédure d'instruction n'est réellement engagée ?


Des procédures sont engagées sans être engagées. C'est vrai que la personne que je défends n'est pas encore mise en examen. Le Sénégal estime pour l'instant être en train d'exécuter un mandat. De ce point de vue, les choses sont engagées. Et les conditions dans lesquelles elles sont engagées posent problème. Nous voulons demander à la Cour de la Cedeao de juger. Je crois que c'est très clair.



Est-ce que vous ne craignez pas des représailles du côté de l'Etat du Sénégal ?


S'il y a des représailles de l'Etat, c'est que le Sénégal avoue d'ores et déjà qu'il n'est pas capable de juger raisonnablement et équitablement Hissène Habré. Si un État utilisant son pouvoir arbitraire exécutif de représailles contre une personne, va jusqu'à cette extrémité, c'est que cet Etat n'est pas capable d'organiser un procès digne de ce nom.

Il y a des passages dans votre requête où vous faites allusion à la non-séparation des pouvoirs au Sénégal, à la violation par le pouvoir exécutif des pouvoirs législatif et judiciaire. Ne craignez-vous pas de verser dans la politique en prenant ce cheval de bataille ?

Pas du tout. La façon dont nous posons les choses est simple, on a des décisions judiciaires qui sont rendues au début des années 2000 jusqu'en 2005. Elles sont définitives. Le citoyen sénégalais ou étranger qui vit au Sénégal a le droit à une certaine sécurité judiciaire. Aujourd'hui, on veut changer les règles du jeu. On a dit : ce procès n'a pas pu avoir lieu donc on va changer la loi, changer la procédure et changer la Constitution juste pour rejuger Habré. Donc, c'est clair qu'il y a un changement des règles du jeu qui n'est pas acceptable. En faisant cela, on fait de la politique. On applique simplement un principe qui est celui de dire que le citoyen a le droit à la sécurité judiciaire. Imaginez qu'un citoyen français, un homme politique français est poursuivi dans une affaire, par exemple, de corruption et inculpé par un juge d'instruction. Et qu'il fasse l'objet d'une décision de refus d'informer sous prétexte que les éléments constitutifs ne sont pas totalement réunis. Cette décision, elle est définitive. Imaginez donc que quelques mois plus tard, le Président français, non content, voyant cette personne comme un adversaire politique important saisisse le président de l'Union Européenne. Et, après, obtienne un mandat et aille devant le Parlement, change la loi, introduit des éléments qui permettent de nouvelles poursuites et constatant que la Constitution lui empêcherait de juger quelqu'un pour des faits commis à une époque où ces infractions n'existaient pas demande un changement de la Constitution. Que va dire le Conseil constitutionnel français ? Imaginez-le ! Dans cette affaire, là où il y a détournement de procédure, c'est qu'on a tout fait pour éviter le Conseil constitutionnel sénégalais quand il s'est agi de modifier la Constitution. On a fait une loi constitutionnelle qui évite que le Conseil constitutionnel ne puisse être saisi. Hissène Habré n'a aucun recours de ce point de vue. On ne permet même pas à celui qui est la victime directe d'avoir un recours devant le Conseil constitutionnel pour faire dire le principe de la non-rétroactivité.



Et vous pensez que c'est la même chose ?

Exactement. En changeant la Constitution et en y introduisant une exception au principe de non-rétroactivité, le Sénégal viole et la Charte africaine des droits de l'homme et la Déclaration universelle des droits de l'homme. Qu'est-ce qui justifie qu'un Etat en soit à modifier sa Constitution pour juger un homme, un seul ? On change les règles du jeu, on ne respecte pas la sécurité judiciaire et on le fait par une démarche de l'exécutif postérieure à des décisions rendues par l'autorité judiciaire. Qu'est-ce que fait le premier magistrat de ce pays, (Ndlr le Président Wade) ? Il va voir une organisation politique pour dire qu'il aimerait juger cet homme (Ndlr Hissène Habré). À partir de là, on obtient du législatif, un changement total des règles du jeu qui ont d'autres objets que de porter atteinte à terme aux décisions judiciaires qui ont été rendues.

Vous voulez dire que le Président sénégalais viole le pouvoir judiciaire ?

Tout à fait. C'est inscrit dans la Constitution Sénégalaise, mais aussi dans un document régional qui s'appelle le pacte sur la gouvernance qui fait de la séparation des pouvoirs des principes constitutionnels applicables dans tous les Etats de la Cedeao. Le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs est donc élevé au rang de norme communautaire. Donc, même si on change la Constitution là-dessus, on a des moyens de droit régional qui sont utilisés dans cette affaire.

À part la saisine de la cour de Justice de la Cedeao, quelle autre procédure est prévue au cas où vous n'obteniez pas gain de cause ?


À partir du moment où l'Union Africaine a donné un mandat, ce n'est pas pour fermer les yeux sur son exécution. Nous avons donc également saisi l'Union Africaine.

Etes-vous au courant que l'Etat du Sénégal, par l'entremise de l'agent judiciaire de l'Etat, est en train de ficeler son dossier pour sa défense à la Cour de Justice de la Cedeao ?

J'imagine bien que la procédure de la Cedeao c'est que lorsqu'une requête est déposée, la cour de justice demande à l'Etat qui est visé d'organiser sa défense et de présenter un mémoire dans un certain délai. J'imagine bien que l'Etat du Sénégal est en train de préparer son mémoire. Je n'ai pas très bien compris qu'ils prennent un ou deux mois pour le faire. Mais une fois que ce mémoire sera déposé on y répondra tranquillement.

Avez-vous rencontré les autres avocats d'Hissène Habré ?

Cette requête a été rédigée par moi-même. Il y a également Me Konaté, avocat au Barreau du Mali. Nous sommes les deux avocats d'Hissène Habré dans cette procédure particulière. Maintenant, l'équipe d'Hissène Habré est plus importante. Nous intervenons dans différents domaines et il y a également des avocats dans cette équipe.

Il semble qu'il y a des problèmes entre certains avocats sénégalais et votre client…

Non, je ne crois pas. Il a, à l'heure actuelle, des avocats sénégalais et il n a pas de problème avec eux. Il est clair qu'il a eu par moments d'autres avocats et qui ne le sont plus, mais quelqu'un peut changer d'avocat…




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