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ANALYSE

Journée mondiale : l’enseignant, le facilitateur malgré tout !


Alwihda Info | Par Dr Magloire Kede Onana, enseignant associé des Universités, écrivain et directeur des Collections Harmattan Paris. - 5 Octobre 2025


Ancien proviseur des lycées, il a éprouvé en 2004 le vif besoin de se consacrer à une recherche universitaire pour prendre du recul sur son expérience. Formé parallèlement en master d’administration et gestion des entreprises à l’IAE de Bordeaux, et de surcroît titulaire d’un doctorat nouveau régime en philosophie de l’éducation obtenu à l’université Paris-Est, ses travaux de recherches portent sur les politiques publiques d’éducation ; les valeurs humaines fondamentales que la tradition philosophique a mises au jour ; l’équité et la qualité dans l’éducation, les questions de gouvernance éducative, l’innovation sociale et la gouvernance des territoires, toutes les questions liées à l’émergence et au développement durable de l’Afrique et son rapport au reste du monde. Dr Magloire Kede Onana mène une à l’occasion de la Journée mondiale de l’enseignant qui se célèbre le 5 octobre.


Journée mondiale : l’enseignant, le facilitateur malgré tout !
En ces temps de crise généralisée et bien mieux, d’effervescence sociopolitique, très accentuée ces jours-ci dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où la proclamation d’indépendance annoncée par les sécessionnistes reste au goût du jour, nombreux sont les citoyens camerounais qui sont sortis le 1er Octobre ; dans les rues de nos villes, pour exprimer leur solidarité à leurs compatriotes des régions anglophones, avec pour seule ambition de « dire haut et fort que le Cameroun reste uni et indivisible ».

De toutes les revendications enregistrées jusqu’ici, il y a bien une qui ne cesse de retenir notre attention.: celle des syndicats d’enseignants des régions précitées Préoccupations certes légitimes, mais qui n’ont point laissé indifférents les auspices, puisque nous reconnaissons tous que celles-ci avaient déjà reçues des réponses appropriées du chef de l’Etat pour les résoudre.

Le problème de fond pour nous, c’est lorsque « les politiciens du 1er Octobre » mettent dans leur agenda la destruction des écoles, sans oublier les biens publics et privés, les menaces et violences sur les élèves, menaces sur les paisibles populations, constituées d’enseignants qui ne demandent qu’à vaquer paisiblement à leurs occupations quotidiennes pour apporter leur notable contribution pour favoriser l’émergence d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes plus avisée, plus éclairée en matière de lutte contre la pauvreté, le respect de l’autre, la bonne répartition des charges, le tout rendu possible parce que équipée de nouvelles grilles d’analyse des phénomènes sociaux.

En un mot la participation de tous à l’effort de redressement national reste le gage de la réussite dont l’enseignant détient le secret.

A quelques jours de la célébration de la Fête des enseignants, nous avons tenu à rappeler dans ces quelques lignes, afin que nul n’en oublie, les multiples rôles de l’enseignant souvent méconnus par certains, rôles qui, parce que bien connus par tous, commandent qu’on laisse ce faiseur d’homme tranquille, même en période de troubles sociopolitiques. Il convient de signaler déjà que c’est à lui que reviendra la lourde, passionnante et délicate tâche d’expliquer à la jeunesse pourquoi quelques aventuriers avaient programmé de proclamer la partition du Cameroun, d’où vient-il même qu’on en arrive-là ? Pourquoi la sauvegarde de l’’Unité est importante, Pourquoi le Cameroun doit rester uni et indivisible ? Pourquoi il est aujourd’hui urgent et nécessaire de dire « non à la sécession, non au terrorisme, non à la violence, oui à la paix, oui à l’unité nationale, oui à la tolérance, oui au dialogue, etc.

I/- L'enseignant : Le facilitateur malgré tout
Sa mission se veut lourde, passionnante et délicate.
- Elle se veut lourde : parce qu'elle s'inscrit dans la durée, tout au long de la vie des êtres humains.
- Elle se veut passionnante : parce qu'il trouve toujours malgré tout, une satisfaction inestimable dans l'accomplissement des multiples tâches qui lui sont déjà confiées, même quand des nouvelles viennent alourdir ses missions. Façonner les esprits de ces petits êtres aux yeux pétillants d'intelligence est toujours pour l'enseignant, une tâche exaltante et noble.
Pour spécifier l'ambiguïté liée à cette œuvre, Lucien MALSON relevait que : « avant la rencontre d'autrui, et du groupe, l'homme n'est rien que des virtualités aussi légères qu'une transparente vapeur…». C'est dire que d'une tranche d'âge à une autre, il s'orchestre dans cette médiation des dosages cognitif et affectif qui favorisent l'acquisition des savoirs (vivre, faire, être, etc.).
- Si cette mission se veut délicate : c'est parce que l'enseignant ne saurait facilement perdre de vue qu'il a en face de lui des élèves en qui se cache respectivement un enfant. Mais il s'agit bien des enfants d'un nouveau type, issus d'horizons divers, coulés dans le moule de valeurs différentes et évoluant dans un contexte où les « sociétés du savoir » les mettent presque en avance sur leur temps. Ce sont d'ailleurs ces sociétés qui veulent ravir la vedette à l'enseignant. Ce dernier devra savoir s'imposer et affirmer son autorité.

En clair, l'enseignant doit toujours avoir en vue le monde moderne. C'est par rapport aux expériences des autres peuples, à la curiosité intellectuelle et à la pratique des méthodes relevant de l'interdisciplinarité, de la pluridisciplinarité ou de la transdisciplinarité qu'il saura renouveler sans cesse ses grilles d'analyse sur les phénomènes marquant de son temps et de son cadre de vie.

Mais dans ce monde dominé par les logiques des nouvelles technologies de l'information et de la communication (WhatsApp, IMO, Tango, etc.), tout le problème est de savoir si, à la longue, les enseignants ne vont pas devenir des « bouches inutiles », et leur existence même un archaïsme. Le philosophe Français Georges GUSDORF avait déjà soulevé ce problème dans son plaidoyer en faveur des enseignants intitulé : Pourquoi des professeurs ? Il y posait le problème de la signification permanente de l'entreprise éducative à l'âge de la radio, de la télévision et des autres moyens audiovisuels.

L'auteur était allé à contre -courant de cette grave prise de position. IL reste donc toujours admis que pour mieux préparer les jeunes aux multiples défis du temps, la tâche de l'enseignant est exaltante, n'en déplaise à ceux d'entre nous qui tiennent encore à montrer aux yeux du monde qu'il est un « simple exilé de la craie » dont on peut se passer. Certes, le passage des « sociétés de mémoire aux sociétés du savoir » a apporté des changements dans les « sociétés apprenantes ».

Dans un Rapport mondial de l'UNESCO consacré à une enquête où des chercheurs présentaient un panorama prospectif des bouleversements enregistrés, il est reconnu, à en croire les consultants convoqué dans ces assises, que de nombreux changements « ont accompagné, en matière pédagogique et éducative, le déplacement de l'intérêt des détenteurs du savoir à ceux qui cherchent à l'acquérir, dans le cadre non seulement des systèmes formels de l'éducation, mais aussi de l'activité professionnelle et de l'éducation informelle, où la presse et les médias audiovisuels jouent un rôle important.

A l'heure où les anciens modèles sont remis en cause par des mutations de plus en plus rapides et où le learning by doing et la capacité à innover prennent une importance croissante, la dynamique cognitive de nos sociétés est devenue un enjeu majeur. Le modèle de l'apprentissage s'est ainsi diffusé, bien au-delà du monde des éducateurs, à tous les niveaux de la vie économique et sociale. Il devient de plus en plus clair que toute organisation, qu'elle soit à vocation marchande ou non, devra renforcer sa dimension « apprenante ». Si bien que les lieux et médias du savoir sont appelés à se multiplier, aussi bien dans les pays du Nord que dans ceux du Sud ».

Ce texte montre que les pôles d'acquisition des connaissances ont changé de vecteur. Mais devant le bombardement sans cesse croissant des connaissances ainsi reconnues, il reste toujours que c'est l'enseignant qui coule méthodiquement les générations dans son moule. Pour ce faire, il doit toujours être curieux de la vie, de ce vaste livre inépuisable qu'est le monde et qui plus est, des acquis et vulgarisations des sociétés du savoir.

Et ayant quelques idées de ce monde, il se doit de tenir toujours la main du petit, au besoin l'écouter tout en définissant avec lui les conditions et les cadres d'une bonne écoute. Un bon enseignant, ou mieux celui qui a choisi d'exercer sans regret cette noble, mais délicate profession, c'est celui qui se projette toujours dans le futur, avec comme accoudoir les acquis du passé.

Parce qu'il doit sans cesse penser à l'échelle des générations, il est toujours question pour lui de former l'homme conscient, responsable, qui doit qualitativement s'intégrer aussi bien dans le devenir de son pays que de celui des autres continents. Sa vie ne saurait donc être une vie de repos. Lorsqu'il ne lit plus, il doit cesser d'enseigner. Sinon, il devient à la longue anachronique, un danger pour lui-même, pour le devenir total de l'Homme à former, et pour l'humanité tout entière. C'est dire en d'autres termes que son action s'inscrit toujours dans un cadre global et social donné.

L'enseignant travaille en permanence dans un ensemble de contraintes économique, politique, idéologique, culturelle et techno-scientifique. Et il ne saurait jouer efficacement et pleinement son rôle de facilitateur auprès des apprenants si l'on ne prend en considération ces contraintes, ses impacts et ses enjeux dans son déploiement quotidien. Comment rendre l'apprenant agressif et compétitif sur les pistes du savoir sans passer par un bon mentor ? Est-il possible d'amener nos systèmes scolaires à affronter les enjeux de notre époque sans tenir compte des doléances et motivations des enseignants ? Il faut reconnaître que la réponse à ces redoutables questions peut apporter un dénouement à tous les problèmes liés à nos systèmes de gouvernance éducative. Il y a en sous-sol de cette question le problème de la redéfinition du statut de l'enseignant par rapport à ses différents rôles sociaux.

Dans un essai très fouillé intitulé : Ethique et déontologie de l'éducation, le camerounais Gilbert Tsafack, professeur en sciences de l’éducation définissait le profil des enseignants en ces termes : « les enseignants assurent un service public qui implique des servitudes, exige des connaissances approfondies, des compétences spécifiques acquises et entretenues au prix d'études rigoureuses et permanentes. En réalité, n'enseigne pas véritablement celui qui peut ». C'est dire qu’être enseignant n'est pas affaire d'aventuriers. Il faut avoir l'étoffe, le profil, et savoir définir les conditions de possibilités pour exercer cette noble et délicate profession.

Son caractère public commande que nous éclairons davantage les décideurs camerounais sur ses multiples rôles. L'enseignant, on l'oublie peut-être souvent, est à la fois : ·
Stimulateur : en ce sens qu'il propose des activités qui éveillent l'intérêt des élèves. · Psychologue : en ce sens qu'il observe les élèves, collectivement et individuellement, afin de venir en aide à ceux qui le solliciteraient pour une raison ou pour une autre. · Informateur : en ce sens qu'il fournit les éléments de la leçon, ou aide de façon méthodique à leur élaboration.
· Communicateur : en ce sens que dans un jeu de questions-réponses, de façon permanente, il favorise, au moyen du dialogue et de l'écoute, la recherche participative de la vérité, et des arguments y relatifs. ·
Educateur : en ce sens qu'il applique des méthodes propres à influencer la personnalité des élèves. ·
Animateur : en ce sens qu'il entretient le contact entre l'école et le milieu extérieur. Ce qui fait de lui un modèle, un donneur de leçons ; un passeur culturel, et comme souligné plus haut, un facilitateur dans l'acquisition et surtout la perpétuation des savoirs (savoir-faire, savoir être), non seulement dans les salles de classe, mais aussi dans les milieux culturels, sous forme de théâtre, ou de danse.
· Substitut parental : en ce sens que pendant les heures de classe, il se trouve parfois en train de jouer le rôle des parents. Tout se passe comme si l'enseignant s’occupait plus des enfants que les parents. Il y a là un cumul de fonctions qui requiert sans cesse deux atouts : la qualification professionnelle, et le don de soi.

Le camerounais David ILEBA, Professeur à l'Université Catholique d'Afrique Centrale, traitant cette question, reconnaîtra que : « Le maître est au service de la société. L'exercice de son métier est une forme de sacerdoce. Il se donne entièrement pour la formation des jeunes qui auront la responsabilité de prolonger le développement de la société, la construction de leur milieu de vie et le respect du bien commun. Le maître travaille en premier lieu pour ses élèves. Sa mission est au-delà de l'instruction, c'est surtout l'éducation.

La vraie reconnaissance de son travail lui vient tout d'abord de ses enseignés. C'est l'argument qui justifie que ce n'est pas le salaire qu'il reçoit qui devrait conditionner son service. Certes le maître mérite de recevoir une rémunération qui lui éviterait toute forme de frustration et qui favoriserait son émulation. Car tout manquement à son dévouement peut avoir des conséquences inestimables pour la vie des enfants, étant donné qu'il a une grande participation à leur éducation…
Le don de soi du maître fait appel à certaines qualités :
- l'amour
- la sympathie
- la douceur et la patience
- le sens du devoir et la responsabilité
- la réceptivité et l'accueil.

Comment donc comprendre aujourd'hui que connaissant tous ces multiples visages et qualités de l'enseignant, ceux qui nous gouvernent, aient toujours la comprenette assez difficile pour améliorer illico, son niveau de vie, en un mot son sort ?
Arrive-t-il un moment où chacun de nous se demande qui éduque l'éducateur ?
Et au moyen de quoi s'éduque-t-il ?

Dans tous les cas, ici comme ailleurs et qu'on le veuille ou non : « la qualité d'une société dépend en grande partie de la qualité et de l'importance accordées à l'éducation dispensée aux jeunes et par ricochet de la prestation des enseignants. L'enseignement du maître ouvre à l'acquisition d'une vision du monde, du sens du souverain bien, de l'acceptation et du respect de l'autre et du patriotisme de la communauté.

Le maître œuvre à la construction d'une société plus humaine. Il mérite à juste titre une reconnaissance sociale. » Ces propos évocateurs de notre précédent auteur interpellent L'Etat (ou mieux les pouvoirs publics)

II/- Le rôle de l'Etat
Nous sommes tous partie prenante de cet ensemble de structures. L'Etat n'est pas un individu assis quelque part et donnant des ordres. C'est la raison pour laquelle il est préférable de parler en termes de pouvoirs publics.

L'attention doit être portée par rapport à ses rôles sur les coûts de l'Education, mieux sur les budgets qu'elle nécessite et des prédictions ou prévisions à envisager en la matière. Il convient ainsi de réfléchir en permanence sur l'éducation face aux défis économiques, avec pour corollaires :
- L'investissement en capital humain
- Les dépenses publiques d'éducation
- L'efficacité du système éducatif
- Le financement des établissements scolaires et universitaires.
Il y a là tout un système d'audit à mettre en place.

Dans le même registre des urgences, il se pose le problème de la formation des spécialistes en économie de l'Education. Dans un article intitulé : L'Economie de l'éducation : méthodologies, constats et leçons, Marcellin Joanis faisait observer à propos que : « …Le niveau d'éducation atteint par les individus qui composent une économie constitue un déterminant majeur de son succès sur l'échiquier économique mondial et, partant, du niveau de vie de ses citoyens.

D'une part, les nations développées cherchent désormais à s'imposer comme des « réservoirs » de main d'oeuvre hautement qualifiée, exploitant ainsi leurs avantages concurrentiels face à la main d'œuvre abondante, bon marché et généralement peu instruite des pays en voie de développement.

D'autre part, nous savons maintenant que l'accumulation de capital humain contribue au même titre que l'accumulation de capital physique à la croissance économique à long terme. Dans un tel contexte, il n'est pas surprenant que l'éducation et la formation occupent une place prépondérante dans l'élaboration des politiques économiques - à la fois microéconomiques et macroéconomiques… » Parlant des « constats de l'économie de l'éducation », il spécifie ses enjeux : « L’économie de l'éducation cherche à comprendre deux grands ensembles de phénomènes.

D'une part, au niveau microéconomique, les économistes cherchent à comprendre le processus décisionnel des individus en matière d'investissement en capital humain, de même que les nombreux facteurs qui peuvent influer sur ce processus. D'autre part, d'un point de vue plus macroscopique, les économistes de l'éducation sont préoccupés par les impacts de ces choix individuels sur les tendances du marché du travail.

L'économie de l'éducation, par son accent sur l'investissement en capital humain, est aussi étroitement liée à la littérature macroéconomique sur la croissance économique, ce qui la rend particulièrement pertinente du point de vue de la politique économique… » Tous ces développements contribuent à démontrer que l'éducation revêt une importance cruciale pour les économies d'un pays. Plus les auspices sont éclairés, plus l'investissement en capital humain sort du maquis des pilotages à vue. Du coup, on peut apprécier efficacement les performances d'ensemble du système éducatif dans ses aspects qualitatifs et quantitatifs.

D'où la nécessité de réfléchir chaque année sur le thème de la rentabilité dans la fonction enseignante, afin de pouvoir en dégager tous les corollaires déontologique et technique, utiles à l'exercice de cette noble et délicate profession. Une telle préoccupation s'impose parce qu’à un moment donné de l'histoire de nos sociétés, la fonction enseignante a engagé des imposteurs, c'est-à-dire des gens qui s'y sont rabattus parce qu'ils n'avaient pas pu gagner leur pain ailleurs. Les Ministères en charge de l'Education devenaient finalement le dépotoir des « vieilles choses ».

Rappelons pour le déplorer que le recrutement à l'Ecole Normale Supérieure de Yaoundé par exemple s'était passé sur étude des dossiers, et les candidats retenus à l'issue de la sélection engagée étaient classés par ordre de mérite. La question à se poser est de savoir si l'on peut parler de méritocratie sur fond de clientélisme ? Cette question est préoccupante, parce que la personnalité de l'Educateur constitue toujours le socle prioritaire des interventions formatrices. Une telle prise de position aide à comprendre la relation qui pourrait exister entre l'Education et la politique.

Louis Le Grand, spécialiste de ces questions soutenait en des propos fort évocateurs que : « l'Education, comme objet d'étude, n'est pas seulement un lieu de relations interpersonnelles entre des adultes et des enfants avec toute la complexité qui s'attache à cette relation particulière : finalités et objectifs, compétences cognitives et affectives, situation d'apprentissage, dit et non-dit, etc. C'est aussi une réalisation institutionnelle dans la mesure où elle prend la forme collective d'établissements scolaires, de programmes et d'institutions codifiés, de fonctions professionnelles réglées par des statuts, de constructions, de rapports juridiques entre les différents partenaires, de relations entre l'école et son environnement social et économique…»

C'est dire en d'autres termes qu'il s'agit là d'une entreprise trop sérieuse à ne pas remettre entre les mains d'aventuriers, cupides et matérialistes, sans foi ni loi. Il faut se préparer avec un imaginaire, à et dans l'exercice de cette tâche, voire dans la direction des choses relevant d'elle avec beaucoup de profondeur. Il y a toujours au bout d'un système éducatif une contribution notable faite de performances, de productivité et d'innovations.

Dans son processus de réalisation, s'impose la mesure au nom de laquelle on doit tenir compte des défis à relever à court, moyen et long terme. Ceci est important parce que dans un processus, il n'y a pas de fin, il n'y a qu'une dynamique, qui se veut collective. Nous devons tous être les acteurs éveillés de cette dynamique. Piqués au vif, de cette dimension de l'imaginaire, nous pourrons ainsi transmettre quelques valeurs ou systèmes référentiels à nos enfants.

Un tel processus commande avant tout la décolonisation de nos imaginaires d'antan. On peut comprendre en perspective que malgré tout, un système éducatif en soi n'est pas mauvais, peut-être qu'il vaudra la peine de renouveler en permanente nos grilles d'analyse sur le nôtre, tenant compte des défis majeurs à relever, arrimés que nous sommes à la mondialisation et à l'ère de la complexité.

L'idée centrale reste que ce sont les motivations qui manquent souvent aux éducateurs dont l'œuvre est phénoménale. Il faudra prendre cette position comme axe de nature à favoriser des vocations dès la base. L'Etat devra définir ici les grandes échéances qui attendent et la jeunesse, et la Nation, sur le court, moyen et le long terme, au risque d'avoir affaire à un système qui fonctionne à plusieurs vitesses. René Dumont, spécialiste des affaires africaines affirmait en termes plus prosaïques que : « En Afrique, il faut qu'il y ait une éducation dirigée vers le développement.

L'éducation a été dirigée vers la fonction publique, on a fait des chômeurs ». Il répondait pour ainsi le déplorer, à une question que lui posait un journaliste, à savoir : « A quoi peut- on attribuer la faillite africaine, trois décennies après leur accession à la souveraineté, indépendamment des options économiques prises au départ ?» Pour ce grand homme d'esprit, les Etats africains sont devenus des mamelles nourricières, ils ont outrepassé leur mission régalienne, en pensant pourvoir le système en emplois pour tous. Cette préoccupation montre clairement que nos Etats ont échoué dans leur vocation. Il y a là une mal gouvernance des ressources humaines.

Le diplôme était devenu le signe d'ascension sociale. Il a fallu du temps pour que les décideurs du pays comprennent que : « le diplôme n'exprime pas infailliblement le degré de compétence, la valeur précise de son porteur, mais seulement une présomption de tel ou tel niveau de compétence, lequel doit être ensuite vérifié sur le terrain. A quelque chose malheur est bon, dit le dicton. La pléthore actuelle de diplômés sans emploi est de nature à favoriser la fétichisation du diplôme. […..]

Une fois le diplôme défétichisé, la formation effective reprendra toute sa valeur que le parchemin avait finalement usurpée. Si c'est désormais la formation réelle qui importe et non plus le parchemin qui aurait dû en être le simple signe, c'est donc cette formation réelle qui mérite de devenir l'objet de tous les efforts et de tous les sacrifices aussi bien de la part des élèves que des éducateurs. » Cette réflexion du professeur Marcien Towa mérite d'être prise au sérieux.

Car, depuis que le parchemin et les références académiques ont pris de l'ascendance sur la valeur intrinsèque des individus, tout est rendu possible pour que certains achètent les diplômes. Un nouveau pari peut et doit être tenu, visant à ouvrir notre système éducatif à des perspectives autrement plus exaltantes que celle de la production des diplômes. En signant par exemple des contrats de performances entre les écoles et les entreprises, voire avec l'Etat, on jugera facilement les maçons au pied du mur.

Autrement dit, le diplôme ne doit plus être considéré comme une approximation cardinale de la productivité, mais plutôt comme un indicateur de classement ordinal de l'employabilité, auréolé par un code éthique. Cette vision doit s'imposer à nos décideurs. Car, à en croire le professeur émérite Philippe Hugon dans un article intitulé : Que produit l'éducation ? : « Il existe un consensus de la communauté internationale à propos du rôle déterminant de la formation et de l'éducation dans le processus de développement. Ce rôle est renforcé dans la nouvelle économie de l'information et de la connaissance … ».

Considérant l'éducation comme un support, il poursuit son analyse en attestant que « son efficacité quant au développement économique dépend des modèles qu'elle transmet, des motivations qu'elle suscite, des valeurs qu'elle transmet. L'enseignement scolaire participe de l'apprentissage des mécanismes fondamentaux de la pensée (lire, écrire, compter dans une langue écrite), découvertes de la notion de la causalité et du temps linéaire, mise en contact avec les jeux et les formes.

L'investissement scolaire est ainsi un facteur potentiel important du développement en diffusant les valeurs motrices de la croissance, en diffusant l'innovation, l'esprit expérimental ou les aptitudes. Mais en même temps, il est ancré dans des systèmes sociohistoriques, il aboutit à des habitudes et à des attitudes et filtre certains systèmes de valeur. Les effets de l'éducation sont interpersonnels, intergénérationnels et incertains.

Un programme d'éducation est une prise de position sur les raretés relatives futures qui constituent les paramètres de la croissance de la rentabilité de demain. Cette question ne peut plus aujourd'hui être limitée aux Etats-nations. Le processus décisionnel est aujourd'hui largement transnational. Une interrogation scientifique sur les finalités de l'école et de l'éducation est liée à une interrogation éthique et philosophique. Celle-ci porte sur les sens que les agents donnent à ce processus, qu'ils maîtrisent ou qu'ils subissent et où ils sont participants ou exclus.Il n'y a pas de sens de l'Histoire mais des histoires auxquelles les hommes donnent sens ».

Nous citons longuement ce texte parce qu'il présente des enjeux certains dans notre enquête. Qui plus est, il initie une autre interpellation à tous les acteurs et décideurs des politiques d'éducation. Dans un contexte où l'on privilégie «la bourgeoisie du diplôme », où le diplôme prend une valeur magique et où tout est mis en œuvre pour qu'il permette de gravir les hiérarchies de la bureaucratie, alors que l'Etat n'a pas déjà l'une des assises économiques les plus viables, il y a lieu de douter de l'efficacité et de la rentabilité de notre système de gouvernance.

Quel pays voulons-nous pour nos enfants ? Quels enfants voulons-nous pour nos pays ? Quelles élites auront nos sociétés au bout du compte ? Pour répondre à ces redoutables questions de management stratégique, nous pensons qu’une division du travail doit s'opérer entre les hommes d'action et ceux qui éclairent l'action. Loin de vouloir toujours réformer dans l'urgence, l'inquiétude, et l'angoisse, il doit revenir aux pouvoirs publics le rôle d'assigner aux universitaires une mission, non pas de gestion, mais de production des idées dans un contexte déterminé.

Les préoccupations du Club de Rome (1980) sont claires à ce sujet quand on peut lire ceci : « Il conviendrait de faire un grand effort pour rétablir l'équilibre entre l'action et la réflexion en faisant participer plus directement les universités privées aussi bien publiques à l'évolution de la société, au moyen de contrats de recherche et de projets de développement.

Par exemple qui, dans les pays en développement, est mieux placé que les universités pour exécuter les programmes d'alphabétisation ? Ne pourrait-on pas accorder aux étudiants des unités de valeur équivalente à un cours de deux semestres s'ils rendent dix personnes capables de lire et d'écrire à la fin de l'année universitaire ? […] Les agences gouvernementales et les entreprises privées pourraient chargées les universités d'exécuter sous contrat des travaux relatifs à toutes sortes de projets de développements de ce genre […]

Envisager ce que les universités, convenablement renforcées et équipés peuvent et devraient faire pour contribuer à résoudre une problématique nationale et promouvoir le développement, c'est poser la question du rôle de l'université. Tout en reconnaissant l'importance qu'il peut attacher au progrès et à la transmission du savoir, ainsi qu'à la création d'une atmosphère de libre réflexion, nous estimons qu'il faudrait s'attacher davantage à aider à comprendre, à participer et dans la mesure du possible à résoudre les problèmes actuels de la société. L'université devrait jouer le rôle d'un laboratoire qui analyse le passé, vérifie le présent et prépare des devenirs possibles … ».

Les universitaires (intellectuels et non les diplômés) ont donc un rôle indéniablement continuel à jouer dans nos sociétés. Passeurs de sens, médecins des âmes, ils doivent entreprendre en permanence un travail aussi bien dans la sphère du prévisible que dans celui de l'imprévisible. Eux qui ont l'immense mérite de parler à l'échelle des générations, la tâche doit leur revenir de perpétrer des attitudes mémoriales de nature à modifier les imaginaires qui feraient obstacles à l'éclosion de nouvelles fraternités.

L'enjeu de leur rôle est de taille pour qu'un pays comme le Cameroun, considéré comme une « Afrique en miniature » dans la sous-région, « ne soit plus atteinte d'une sorte de corticolis culturel », syndrome rendu effectif par la longue habituation de l'esclave à l'égard de son maître. Tout le sens de notre impasse est donc dans cette confusion. Au lieu d'être plus, on veut avoir plus pour paraître.

Et le danger c'est que ceux qui ont plus ne transmettent à la jeunesse qu'une cohorte de fausses valeurs matérielles, qui généralement posent de sérieux problèmes d'acquisition, inopérants avec les exigences du nouveau monde où, de plus en plus, l'on n'a plus le droit de se cacher ou de voiler la trajectoire de ce qu'on fait.
 



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