Accueil
Envoyer à un ami
Imprimer
Grand
Petit
Partager
AFRIQUE

Sénégal : « Khalifa Sall a une très forte expérience politique locale pour avoir été le plus jeune adjoint au maire de tous les temps… »


Alwihda Info | Par Pape NDIAYE - 29 Juin 2014


SENEGAL : MAMADOU DIOP, ANCIEN MINISTRE ET EX-MAIRE DE DAKAR EN EXCLUSIVITE AU « TÉMOIN »
« Khalifa Sall a une très forte expérience politique locale pour avoir été le plus jeune adjoint au maire de tous les temps… »


De tous les anciens maires de Dakar, c’était sans doute le plus  populaire. A preuve, de nombreux chanteurs ont magnifié ses réalisations. « Diop-le-maire », tout le monde connaissait, au point que cette appellation avait fini par éclipser son titre académique de « docteur » et son statut professionnel de « maître »  du fait qu’il est à la fois docteur en droit et avocat à la cour.  Et encore, mon colonel !  Officier supérieur de gendarmerie, Mamadou Diop a exercé d’importantes responsabilités qui l’ont placé à tous les niveaux de l’Etat de 1960 à 2009 : Avocat général près la Cour suprême, président de Section au Conseil d’Etat, professeur d’université (Ucad), secrétaire général de la présidence de la République, ministre, vice-président du Sénat, président de la Communauté urbaine de Dakar, maire de Dakar et maire de Yoff.  Ancien  secrétaire général de la 3ème coordination du Parti socialiste ( Ps), Mamadou Diop est actuellement le leader du Bloc pour la Démocratie et la Solidarité ( Bds), un parti politique de la mouvance présidentielle pour avoir intégré Benno Bokk Yakaar  (Bby) contre l’ancien président de la République Me Abdoulaye Wade. A la veille de ces élections locales de 2014, « Le Témoin »  est allé localiser l’ancien maire des maires pour  le faire parler. En effet, ne pas faire parler ou « voter » Diop-le-maire, c’est brûler toute une bibliothèque municipale ! Entretien exclusif ! 
 
Le Témoin : Quel sera le rôle du maire dans l’acte III de la décentralisation puisque tout le monde veut à présent être maire ?
 
Mamadou Diop : D’abord permettez moi de mieux camper le débat pour me faire comprendre c’est-à-dire parler de la décentralisation. Vous savez, la décentralisation existe au Sénégal depuis 1872 avec la création de deux communes, Gorée et Saint Louis.  A l’image des communes françaises, le processus a continué avec Rufisque en 1880, puis Dakar en 1887. D’où les quatre célèbres communes que vous connaissez ! Des communes de plein exercice pour la France. Donc, il y a très longtemps que le Sénégal a expérimenté la décentralisation  qui consiste à transférer des structures autonomes de l’Etat à l’administration centrale pour exercer un pouvoir local. Et pour exercer ce pouvoir et gérer les populations, il y a deux aspects : Le premier, c’est l’assemblée qui gère et délibère. À la tête de cette assemblée, un personnage appelé maire. Pour revenir à votre question, le maire a un double rôle voire une double fonction : président de l’assemblée locale et municipale.   En qualité de chef de l'administration communale, il exerce ses pouvoirs sous le contrôle du Conseil municipal.  Le maire est chargé  d'exécuter les décisions de l'assemblée délibérante sur les problèmes d’aménagements, de santé, d’éducation etc.… Dans certains domaines, le maire a ses propres pouvoirs où il ne dépend pas du conseil municipal : la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques de la cité.  Pour l’autre aspect, le maire est un agent de l’Etat.  Il est chargé d’appliquer les lois et règlements dans sa commune. En ce moment-là, le maire dépend du préfet. 
 
Mais alors, qu’est-ce qui justifie cet engouement, voire cette gigantesque ruée vers les écharpes de maire ? Ce alors que ma mère me disait qu’à l’époque, les gouverneurs de Dakar étaient plus célèbres que les maires…
Ah, une bonne question ! Si le gouverneur de Dakar était plus célèbre que le maire, c’est parce que, de 1964 jusqu’à 1983, le président Senghor avait supprimé la fonction de maire.  Par conséquent, durant cette période, ce sont les gouverneurs qui administraient les communes.  On disait même « gouverneur de Dakar, administrateur de la commune ». Après la restauration de la fonction de maire en 1983, j’ai été le premier maire de Dakar. Et comme la fonction de maire n’était pas compatible avec celle de ministre, j’ai démissionné de mon poste de ministre de la Santé pour être maire de Dakar. 
 
Pourquoi  aviez-vous démissionné avec tous les avantages liés à la fonction ministérielle ? 
 
Parce que, tout simplement,  je voulais relever le défi du fait que  la ville de Dakar était trop, trop, mal gérée. A mon arrivée, il n’y avait même pas de véhicule pour le maire. L’Etat nous avait prêté  un montant de 6 millions fcfa pour acheter une voiture de fonction.  Or, si une mairie d’une grande ville comme celle Dakar allait jusqu’à emprunter une petite somme de six millions fcfa, c’est parce que les caisses étaient vides ! J’avais démissionné également  pour valoriser la fonction de maire.  Pour y parvenir, j’avais mis en place une équipe municipale  composée de hauts cadres, de financiers, d’ingénieurs, de techniciens etc. pour mieux organiser les  différents services de la mairie de Dakar. On voyait même de hauts fonctionnaires qui quittaient l’administration centrale de l’Etat pour venir travailler à la mairie de Dakar.  Fort de cela, le système d’organisation que nous avions mis en place avait fini par payer. La preuve,  le budget était passé d’un milliard fcfa à 10 milliards fcfa etc.… En quittant la mairie de Dakar, j’ai laissé plus de 200 véhicules, vous voyez ! Cette valorisation de la fonction de maire pousse, aujourd’hui,  tout le monde à vouloir être maire de sa cité. L’acte III de la décentralisation a accentué le phénomène « maire » du fait surtout que le Sénégal connaîtra une décentralisation digne de ce nom. Et cela ne pouvait que susciter un engouement populaire comme l’attestent les 2.000 listes validées pour ces locales 2014.  Mieux, la mairie est une grande école d’apprentissage politique. Parce que les maires apprendront à diriger une population locale et gérer une cité voire une ville. Ceux qui n’ont aucune expérience politique vont  apprendre la politique avec le temps. D’ailleurs, c’est dans la mairie que l’on aspire à exercer un pouvoir central ou présidentiel. 
 
Justement, en parlant d’apprentissage politique, où en êtes-vous avec votre école de formation politique ? 
 
Le projet de la création de cette école est en train d’être finalisé… Il s’agit d’une université de sciences et de technologies urbaines pour former des cadres et des ingénieurs  pour le compte des collectivités locales. Parce que le problème n’est pas d’être élu, mais de savoir comment gérer une cité et diriger des populations locales.  Donc, la création de cette université apportera une réponse dans ce sens c’est-à-dire former des maires et des conseillers municipaux en matière de gestion de collectivités locales et de décentralisation.  
 
Revenons à la ville de Dakar  et son désordre urbain ! Certains observateurs disent que si l’actuel maire, M. Khalifa Sall, est confronté au problème des marchands ambulants, c’est parce que ses prédécesseurs, comme vous, ont longtemps laissé pourrir la situation… Est-ce vrai ? 
 
Non ! Seulement aujourd’hui, la situation des  marchands ambulants est devenue un phénomène ! Ils ont gagné davantage d’espace dans les rues, les boulevards et même devant les grandes surfaces du centre - ville de Dakar. Alors que, sous mon magistère, la mairie avait discipliné et domestiqué les marchands ambulants dans certains endroits de la capitale. Il y avait une surveillance permanente sur la voie publique.  Malheureusement, ces dernières années,  le silence flagrant des autorités centrales a favorisé leur invasion. Et les populations riveraines, les commerçants et les passants ne supportent plus cette situation, Khalifa Sall a réagi ! Mais on peut réagir sans pour autant régler le problème. Et pour régler le problème, il faudra construire des marchés et des cantines de recasement…
 
Monsieur le maire, comment voyez-vous ces élections locales 2014 ? Avec Mme Aminata Touré, Dakar n’aura-t-elle pas pour la première fois un maire de Dakar doublé d’un Premier ministre ? 
 
Mais rien ne doit  s’y opposer si toutefois le Premier ministre, Mme Aminata Touré, passe… Parce qu’on a toujours connu des ministres-maires, des députés-maires etc.… pourquoi pas des Premiers ministres-maires, même si ce sera une grande première ! D’ailleurs, un Premier ministre-maire, ce serait à l’honneur de la fonction de maire. Mais le problème,  c’est d’abord d’être élu, et après on verra ! 
 
Mme Mimi Touré a-t-elle de réelles chances pour passer devant Khalifa Sall qui a déjà fait ses preuves ?
 
Ils ont tous les deux le profil de l’emploi pour pouvoir bénéficier de la confiance des populations. Mme Aminata Touré est ma fille, Khalifa Sall est à la fois un fils et un frère ! Seulement, Khalifa Sall a une très forte expérience politique. Surtout en matière de gestion de collectivités locales. Lorsque j’étais président de la 3e coordination Ps et maire de Dakar dans les années 80,   Khalifa Sall était mon adjoint. Mieux, il était mon adjoint à la mairie de Dakar. Je tiens même à vous préciser que Khalifa Sall a été le plus jeune adjoint au maire de tous les temps au Sénégal. Donc Khalifa est une bête politique très expérimentée. Et si je vous le dis, il faut me croire…
 
Pourquoi Grand-Yoff est-elle devenue la commune la plus convoitée ? 
 
Non ! Grand-Yoff n’est pas la commune la plus convoitée…  Il ne faut pas oublier les communes de Thiès, de Pikine, de Ziguinchor et de Saint-Louis. Seulement, la localité de Grand-Yoff semble être trop médiatisée compte tenu des enjeux et des acteurs. Parce que quand un actuel Premier ministre et un actuel maire d’une importante ville comme Dakar  veulent contrôler l’hôtel de ville de la capitale, et doivent pour y parvenir passer forcément par  Grand-Yoff dont ils se réclament, les jeux et enjeux deviennent forcément attractifs !  Vous savez, si la commune de Grand-Yoff est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, c’est grâce à moi, Mamadou Diop !  Car, j’ai beaucoup construit à Grand-Yoff  du temps de mon magistère  comme maire de Dakar : le dispensaire Nabil Choucair, l’hôpital Cto, l’éclairage public, la voirie, les postes de santé etc..
 
C’était en votre qualité de président de la communauté urbaine ? 
 
Exactement ! Parce que j’étais à la fois maire de Dakar et président de la communauté urbaine. La communauté urbaine regroupait toutes les  communes de la région de Dakar à savoir Grand-Yoff, Pikine, les Parcelles assainies, Sébikhotane, Rufisque, Guédiawaye etc.… Et les financements de grosses infrastructures que les petites communes   ne pouvaient pas supporter, étaient pris en charge par la communauté urbaine comme le nettoiement, la voirie, le marché aux poissons, les postes de santé, les hôpitaux etc.… Malheureusement, Me Abdoulaye Wade a dissous la communauté urbaine dès son arrivée au pouvoir en 2000. 
 
Sur un autre plan, comment voyez-vous le nouveau pole urbain de Diamniadiao du président Macky Sall ? 
 
Une excellente idée ! Seulement, j’en ai une autre vision…Car, si c’était moi, j’allais prolonger la Voie de dégagement nord de Dakar  (Vdn) jusqu’à Saint-Louis. Comme quoi, de Dakar à Saint-Louis, il y aurait eu une autoroute à péage qui va longer le littoral. Et cette autoroute littorale traverserait  quatre grandes villes nouvelles que l’Etat aurait construites : Kayar, Mboro, Loumpoul et Tassinière. De là, le président Macky Sall  aurait pu exploiter ce vaste espace touristique et maritime mal exploité. Avec ces quatre nouvelles villes, la culture maraîchère serait développée.  Et comme le pole urbain de Diamniadiao est un excellent projet, il  serait venu compléter ces quatre grandes villes. Et pourquoi pas un autre pole urbain au Lac Rose ? 
 
En dehors de Diamniadio, le président Macky Sall peut-il éclipser les réalisations de Wade avec d’autres gigantesques projets ?
 
Eclipser ? J’aurais préféré ne pas utiliser cette notion ou ce terme … Seulement, en dehors de la nouvelle ville de Diamniadiao, le président Macky Sall pourra faire encore plus d’autant qu’il a la volonté et l’ambition. A sa place, j’aurais sonné la révolution du transport ferroviaire au Sénégal avec des trains modernes et confortables qui vont rallier Dakar-Ziguinchor. Il suffit seulement de rétablir ou de réhabiliter le réseau ferroviaire déjà existant. Et puis, de prolonger ce réseau jusqu’à Ziguinchor en passant par Tambacounda, Vélingara etc. Avec des gares modernes et des voitures ferroviaires confortables, le président Macky Sall aurait fait quelque chose d’inédit qui n’aurait existé nulle par ailleurs dans la sous-région.  Pace que le développement des Européens, des  Maghrébins etc., ils le doivent au transport ferroviaire. En France comme au Maroc, si les gens voyagent beaucoup et investissent dans les régions, c’est parce qu’ils y ont été encouragés par l’efficacité du système du transport ferroviaire. 
 
Justement, restons dans ce domaine ! Un jour, le célèbre transporteur Cheikh Ndiaye « Téranga » nous disait que Mamadou Seck et Mamadou Diop ont été, pour lui,  les plus brillants ministres des Transports du Sénégal…Qu’es-ce cela vous fait d’entendre cela ?   
 
Cela me rappelle le fait d’avoir révolutionné le transport routier. C’est moi qui avais remplacé les cars rapides avec plus de 2.000 unités. A l’époque, je donnais des cars rapides aux transporteurs sans apport personnel, ni avance. Ils payaient seulement 45.000 fcfa / mois durant cinq ans.  Grâce à cette politique, beaucoup de transporteurs ont eu leur propre car rapide ou taxi.  Et pour éviter l’anarchie, le réseau était règlementé avec les cars rapides à la bande « blanche » qui circulaient dans la zone interurbaine de Dakar et les cars rapides à la bande « jaune » dans le secteur urbain, c’est-à-dire du centre-ville jusqu’à la Patte d’Oie et Hann. 
 
Et vos ex-camarades du Ps, cette fois-ci pas de congrès sans débats ? 
 
(Rires) J’ai tourné la page du Ps depuis ma démission ! Je leur souhaite de continuer dans cette voie c’est-à-dire renouveler les instances du parti… C’est bien ! Moi, je suis dans la coalition Benno Bokk Yakar (Bby) avec mon parti Bds qui fait son bonhomme de chemin…
 
Propos recueillis par : Pape NDIAYE
ARTICLE PARU DANS « LE TEMOIN » N°1170- HEBDOMADAIRE SENEGALAIS  (   JUIN 2014 )



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)