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AFRIQUE

Sénégal : Relations Macky/IDY, aux origines d'un clash


Alwihda Info | Par SERIGNE SALIOU GUEYE - 21 Septembre 2013



La coalition Bennoo Bokk Yaakaar fortement secouée par la secousse tellurique occasionnée par le conflit ouvert entre Rewmi et l’Alliance pour la République (APR) vient de connaître sa première grande crise avec le départ officiel d’Idrissa Seck et de ses partisans vers l’opposition. Nous revenons ici sur les différentes péripéties qui ont abouti à ce clash entre l’APR et Rewmi.

Idrissa Seck ne s’est jamais départi de l’idée de briguer la présidence de la République. Même si la prédiction « Idy 4e president » ne s’est pas réalisée à cause de plusieurs facteurs, le leader de Rewmi ne démord pas de conquérir le fauteuil de ses rêves. Pour atteindre un tel objectif à moyen ou long terme, il lui faut s’opposer au régime actuel dont il est comptable en partie du bilan puisque deux de ses désormais ex-partisans (les ministres Pape Diouf et Oumar Guèye), ont siégé 19 mois durant au gouvernement du président Macky Sall au nom du Rewmi. Etant conscient du désert oppositionnel que vit le Sénégal, Idrissa Seck n’a pas tardé à l’occuper par des coups d’éclat médiatiques acerbes et par des communiqués vitriolés des instances de son parti. Le Pds, étant plus occupé et préoccupé par se protéger contre la traque des biens mal acquis qui éclaboussent sa nomenklatura, n’a pas vraiment le temps de s’opposer. Il s’y ajoute que Bennoo Book Yaakaar (BBY) constitue aujourd’hui une entrave pour tous ses partis membres dont les leaders ont des ambitions présidentielles pour 2017. Macky Sall sait que le fait de tenir la bride à ses alliés jusqu’à 2017 va minorer leurs chances en cas de participation à cette échéance présidentielle. Aussi serait-il malséant pour les alliés du président qui sont

comptables du bilan du gouvernement de demander les suffrages des Sénégalais en revendiquant un quelconque bilan positif ou en flétrissant un quelconque bilan négatif. Par conséquent, le meilleur moyen de maximiser ses chances de réélection, c’est de créer les conditions qui amèneraient les Sénégalais à se détourner d’un discours de campagne de quelqu’un qui aura à cheminer avec lui jusqu’après les locales. Ayant compris le piège dans lequel le Président veut maintenir les partis alliés, Idrissa Seck a très tôt commencé à distiller ses points de vue critiques plus ou moins objectifs sur la marche du pays au nom de sa liberté de ton.

Il appert que le soutien de M. Seck Idy au candidat Sall depuis le 2e tour de l’élection présidentielle n’a jamais été sincère. Ce soutien n’a été que circonstanciel mais non politiquement principiel parce que le leader de Rewmi ne pouvait pas se permettre un suicide politique en donnant des consignes de vote en faveur d’Abdoulaye Wade à qui le peuple avait tourné le dos depuis le 23 juin 2011. C’est pourquoi, dans son discours au meeting électoral du second tour de BBY à Thiès, jamais le leader de Rewmi n’a signifié au candidat Macky Sall qu’il le soutenait pour combattre Wade. S’il ne craignait pas a posteriori de représailles populaires ou un enterrement politique certain, Idrissa Seck, qui n’a jamais exprimé la moindre affection à l’endroit de Macky Sall, aurait indubitablement voté pour Wade afin d’empêcher le sacre d’un vieux rival politique qui a été le laquai exécuteur des sales besognes de Wade contre lui. Donc pour le Rewmiste en chef, entre Wade et Macky, c’était choisir entre la peste et le choléra ou le cobra et la vipère. Au lendemain de sa victoire, le nouveau président, machiavélique, a pouponné Rewmi au-delà même de sa représentativité politique réelle en lui cédant dix postes de députés à l’Assemblée nationale et deux places au Conseil des ministres. Cette générosité politicienne qui

avait pour principale raison de poser un bâillon ou des œillères aux Rewmistes n’a pas eu les effets escomptés puisqu’il n’a pas empêché le maire de Thiès et ses ouailles de se considérer comme des opposants au pouvoir.

LA MONTEE DES PERILS

Les premières fissures entre l’APR et Rewmi sont apparues quand le député Oumar Sarr est zappé de la liste des six députés devant siéger au parlement de la CEDEAO, le 22 septembre 2012. C’était suffisant pour que les députés Thierno Bocoum et Omar Sarr boycottent la plénière qui devait clôturer la session extraordinaire de l’Assemblée nationale. La semaine suivante, les Rewmistes de Thiès ont qualifié Bennoo Bokk Yaakaar de « coalition où se jouent l’hypocrisie et la ruse ». Les premières flammèches venaient d’être allumées. Depuis lors, les rapports entre les deux partis n’ont cessé de s’exacerber.

Sur le terrain politique, l’APR ne cesse recruter dans les écuries de Rewmi pour se renforcer. A Thiès, les responsables du parti beige-marron que sont Augustin Tine, Thierno Alassane Sall et Cheikh Kanté ne cessent d’agacer et de menacer Idrissa Seck en direction des prochaines élections locales. Voulant massifier leur parti, le directeur général du Port autonome de Dakar, Cheikh Kanté, et Thierno Alassane alors, directeur général de l’ARTP avant de devenir ministre des Transports et des Infrastructures, se sont lancés dans une opération à grande échelle de débauchage de militants Rewmistes. Mor Tine, chef de cabinet du maire d’arrondissement de Thiès nord, a jeté avec d’autres militants Rewmistes ses baluchons à l’APR. Le 06 janvier 2013, il y a eu des échauffourées entre Rewmistes et Apéristes à Thiès lors d’une cérémonie de transhumance publique. Et les partisans d’Idrissa Seck ont taxé Malick Mbaye, le directeur général de

la Maison de l’outil, Thierno Alassane Sall et Cheikh Kanté de « menteurs et manipulateurs ». Par la suite, le président de la République, Macky Sall, est entré en colère contre Thierno Alassane Sall et Cheikh Kanté accusés d’avoir débauché des partisans du maire de Thiès, Idrissa Seck. Il leur aurait ordonné de ne plus violer les terres de son allié et de respecter le pacte de non-agression entre alliés de la coalition Bennoo Bokk Yaakaar. Et le jeudi 24 janvier 2013, durant deux heures et trente minutes, Macky Sall et Idrissa Seck se sont rencontrés au Palais pour faire baisser la tension entre leurs deux formations politiques. Mais au moment où l’on pensait que les divergences étaient aplanies, le communiqué politique du Rewmi du 30 janvier suivant a fait remonter la température. Dans ledit communiqué, le parti de Seck « exhorte le gouvernement à renforcer le contrôle, de suivi de gestion pour préserver les deniers placés sous sa gestion et empêcher les nouvelles autorités à verser dans les mêmes pratiques répréhensibles de mauvaise gouvernance. » Sur la traque des biens présumés mal acquis, les camarades de Idrissa Seck estiment que le gouvernement devra veiller à ce qu’elle se fasse « dans le strict respect de l’Etat de droit qui implique la non immixtion de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice, la protection de l’institution judiciaire contre toute forme de pression d’où qu’elle vienne, le respect des droits de la défense et le secret de l’instruction ». Un communiqué qui a fait sortir de ses gonds le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Maître Djibril War, qui déclara que « quand on est dans une coalition, on ne peut pas emboucher la même trompette que ceux de l’opposition. Le pacte d’alliance est créateur de devoirs et d’obligations. La loyauté et la solidarité sont le fondement de toute alliance ».

Mor Ngom, le directeur de cabinet du Président, plus ferme renchérit en sommant Rewmi de se taire ou de sortir du

gouvernement. Thierno Alassane Sall, présidant un meeting de ralliement initié par Lamine Ngom de la Convention des jeunesses républicaines (Cojer) flingue Idrissa Seck en déclarant qu’on ne peut pas développer une ville avec une mairie tout le temps sous intérim. Ali Ngouille Ndiaye, l’alors ministre de l’Energie et des Mines, fait savoir aux partisans du patron de Rewmi qu’on ne peut siéger dans un gouvernement et s’adonner à des critiques de l’action gouvernementale. La réplique des jeunes Rewmistes a été cinglante. En effet, Yankhoba Diattara, adjoint au maire de Thiès et le député Thierno Bocoum ont tenu à préciser respectivement que «c’est à la limite hypocrite de vouloir empêcher Idrissa Seck d’exprimer des ambitions présidentielles. Idrissa Seck n’a jamais caché ces ambitions-là et Macky Sall le sait très bien» et «Idrissa Seck ne permettra à personne de lui indiquer la conduite à tenir».

LE POINT D’ORGUE

Ce climat de tension a atteint son point d’orgue avec la sortie médiatique de M. Idrissa Seck lors de la célébration de l’An I de l’Alternance II. A cette occasion, il a dressé un bilan noir de la première année du gouvernement de M. Macky Sall. Il décriait l’incompétence du couple de banquiers Abdoul Mbaye et Amadou Kane à la Primature et aux Finances et la présentait comme étant la principale pierre d’achoppement au bien-être économique du pays. Le limogeage récent de ces deux banquiers ne lui donne-t-il pas raison à posteriori, lui qui a toujours considéré M. Macky Sall comme son élève dans le domaine politique allant jusqu’à lui recommander même de solliciter en cas de besoin ses conseils ?

Les deux ministres rewmistes, qui sont comptables de l’action gouvernementale, avaient pris le contrepied des critiques adressées au Président. Une telle posture leur avait valu une

palanquée de diatribes de la part de leurs frères rewmistes qui y percevaient les prémisses d’une transhumance vers les prairies marron-beige. Depuis, les relations entre le leader de Rewmi et ses deux partisans ministres s’étaient dégradées. A cela se sont ajoutées les révélations sur les milliards laissés par Wade dans les caisses du Trésor quand le pouvoir soutenait mordicus qu’elles étaient vides au moment de l’accession aux affaires du président Sall. Le limogeage de son chouchou Abdourahmane Diouf du poste de directeur de la SONES aura été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les menaces d’exclusion formulées à l’encontre d’Oumar Guèye, ministre de l’Hydraulique à l’époque, si jamais il était mêlé au limogeage du volubile porte-parole de Rewmi étaient un degré de plus dans cette guerre feutrée entre les deux anciens Premiers ministres de Wade. La cassure entre Pape Diouf, Oumar Guèye et leurs camarades rewmistes est devenue une réalité. En atteste la sortie récente d’Abdourahmane Diouf qui précise que ses deux camarades siègent dans le gouvernement Aminata Touré en leur propre nom mais ne représentent plus Rewmi. Cette sortie a provoqué la colère de M. Pape Diouf qui a fait savoir aux militants de la 25e heure qu’il s’est sacrifié pour partager les peines et souffrances vécues par M. Seck au sein du PDS et qu’il a renoncé aux privilèges que lui faisait miroiter Wade pour trahir son compagnon d’infortune. A ce titre, il ne saurait tolérer qu’on le considère comme un guignol de la politique. Dans ce climat de tension, les passes d’armes sporadiques entre le responsable des jeunes apéristes, Abdou Mbow, et son collègue de Rewmi, Thierno Bocoum, illustrent parfaitement le degré de dégradation entre leurs deux formations politiques.

En tenant des propos qui disculpent le responsable des jeunes libéraux embastillé pour offense au chef de l’Etat tout en s’attaquant à ce dernier qui a nommé un ministre de la Justice

qui a exprimé en 2009 une position en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité, Thierno Bocoum a posé les jalons d’une rupture irréversible. C’est l’esclandre. Cauteleux, Idrissa Seck et ses partisans ont cherché jusqu’au dernier moment à se faire exclure du gouvernement et, par voie de conséquence, de BBY. Ce qui le victimiserait aux yeux du peuple. Faute d’être exclu de BBY, Rewmi s’auto-exclut de l’entité politique qui lui a permis d’avoir dix députés à l’Assemblée nationale. La rupture, qui était latente depuis le lendemain des élections présidentielle et législatives, vient d’être officialisée ce 11 septembre à travers un communiqué laconique lu par M. Abdourahmane Diouf. Oumar Guèye, qui avait préféré s’engoncer dans une omerta mystérieuse a réagi en créant un Vaste Rassemblement pour le Progrès (VRP). Mouvement qui soutient l’action du président Macky Sall. Une façon subtile de préserver sa place dans le gouvernement où il siège. Certainement, Pape Diouf suivra la voie pour assurer sa longévité au conseil des ministres.

RUPTURE INELUCTABLE

La rupture entre Rewmi et l’Apr était inéluctable voire nécessaire parce qu’elle permet au jeu politique d’être plus lisible. Deux camps antagoniques vont pouvoir s’affronter désormais : la mouvance présidentielle incarnée par le parti au pouvoir, ses souteneurs de Bennoo Siggil Senegaal, Bennoo ak Tanor et de la société civile, d’un côté ; les libéraux du Rewmi, du PDS, de Bokk Gis Gis de Pape Diop et de l’Union centriste du Sénégal (UCS) d’Abdoulaye Baldé de l’autre.

Il faut toutefois souligner que Rewmi n’a jamais fait partie en réalité de BBY. Rien dans sa démarche politique, dans ses prises de position, dans sa solidarité gouvernementale ne justifiait une quelconque franche appartenance à BBY. Tant mieux si son choix de rejoindre désormais l’opposition

contribue à renforcer la démocratie sénégalaise devenue fragile à cause de l’atonie de l’opposition.

Mais le patron de Rewmi doit savoir que les Sénégalais sont devenus insensibles voire lassés de ses girouettes politiques. Les temps ont changé et ils sont convaincus que seul le pouvoir intéresse Idrissa Seck, lequel n’hésite pas à défier toutes les règles de la morale politique pour parvenir à ses fins.

SERIGNE SALIOU GUEYE
Témoin » N° 1137 –Hebdomadaire Sénégalais (Septembre 2013)



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