La raison officieuse de la visite du vice-président équato-guinéen à Yaoundé les 18 et 19 novembre 2025, tenait moins de la fraternité que de la gestion d'une crise. L'opération avait impliqué la saisie, mi-novembre, de l’Ebony Shine, un bateau de plaisance appartenant à la société Dara, entièrement contrôlée par le ministère équato-guinéen de la Défense. Informées de la rétention du navire, les autorités de Malabo ont aussitôt menacé de suspendre les activités de Tradex, la filiale locale de la SNH camerounaise.
Alors que les deux pays s’approchaient de la rupture, le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo a dépêché son fils à Yaoundé pour exposer la situation à Paul Biya, dont rien n’indiquait qu’il était informé de l’opération menée par son propre gouvernement contre le bien équato-guinéen.
La Créance : Genèse d'un Litige (2002-2009)
La saisie résulte de l’initiative de la consultante franco-italienne Sylvana Combet, mandatée par l’État du Cameroun pour recouvrer une créance due par Malabo à la Commercial Bank Guinea Ecuatorial (CBGE). Ce litige était initialement lié à l'homme d'affaires camerounais Yves-Michel Fotso, qui avait tenté de lancer cette banque sans succès.
Pour comprendre le fond de l'affaire, il faut remonter à 2002. Cette année-là, la Guinée équatoriale avait d’abord donné son accord à l’installation d’une filiale de Commercial Bank Cameroon (CBC), avant de se rétracter alors que la CBGE avait obtenu tous les agréments, construit un siège, recruté et formé du personnel. Fotso saisit alors la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada pour obtenir réparation.
Dans sa sentence du 24 mai 2009, la juridiction condamna Malabo à verser 69,6 millions d’euros à la CBGE.
Les Tentatives d'Exécution et la Dérive Judiciaire (2009-2013)
Protagoniste historique, Yves-Michel Fotso (fils de Victor Fotso), n’est pas impliqué dans cette nouvelle péripétie de 2025. Arrêté en 2010 et condamné à vingt-cinq ans de prison pour détournement de fonds publics (dossier de l’Albatros), l’ex-banquier vit aujourd'hui entre l’Italie et la France après avoir été évacué au Maroc en 2019 pour raisons médicales, sa peine restant effective au Cameroun.
Fotso engagea ensuite une procédure d’exequatur en France, où l’État équato-guinéen détenait un important patrimoine. C’est à ce moment qu'il donna mandat à Sylvana Combet, marquant sa première apparition dans ce dossier, ainsi qu'à un huissier, Henri Mercieca.
Le 17 décembre 2012, des émissaires de Malabo se rendent au secrétariat d’État à la Défense (SED), où Fotso est détenu, pour conclure un accord transactionnel – sans ses avocats ni Combet. L’accord prévoit le versement de 30 millions d’euros à l’homme d’affaires, qui renonce ainsi à une partie de sa créance. La Guinée équatoriale verse une avance de 15 millions d’euros à une émissaire.
Le 20 août 2013, la CBGE, représentée par Combet et l’ancien bâtonnier Jackson Ngnie Kamga, signe un « protocole d’accord » prévoyant un second versement de 7,5 millions d’euros, transférés sur le compte d’Henri Mercieca. Cependant, au moment du virement, Fotso avait déjà révoqué le mandat de l’huissier. Combet et Mercieca seront mis en examen puis condamnés pour faux, usage de faux et escroquerie en bande organisée par le tribunal de Bourg-en-Bresse. L’argent litigieux a été confisqué par la justice française.
La Crise de la Saisie (Novembre 2025)
L’État du Cameroun, qui avait fait appel aux services de la facilitatrice (Sylvana Combet), s’est invité dans l’affaire pour tenter de récupérer les fonds, via son ministère de la Justice. Ces procédures arbitrales menées en France n’ont pas abouti.
En novembre 2025, l’État a tenté une dernière manœuvre (la saisie de l’Ebony Shine) avant d’échouer faute de titre exécutoire valide. Dans cette procédure, Sylvana Combet a obtenu d’une juridiction italienne un exequatur – l’autorisation d’exécuter une décision étrangère – pour saisir le navire, dont la valeur est estimée à 100 millions de dollars.
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Contexte du Yacht : Notons que ce yacht de luxe, acheté à un oligarque russe en 2016, est qualifié par Médiapart de « yacht réservé aux milliardaires ». Africa Intelligence (AI, édition du 20 juin 2025) avait d’ailleurs prédit cette menace de saisie.
Le média confidentiel français Africa Intelligence spéculait alors que le Cameroun prenait un risque énorme de riposte, notant que la symbolique était brutale : « pour la première fois, un yacht d’un vice-président africain pourrait être saisi non par la justice occidentale, mais par un voisin africain. Une humiliation insupportable pour le régime Obiang. »
Résolution Diplomatique
La visite de Teodorín Obiang a finalement permis de régler le différend à l’amiable et rapidement : l’Ebony Shine a repris la mer, Tradex a rouvert en Guinée équatoriale et la coopération entre les deux voisins est revenue à la normale.
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Cameroun-Guinée équatoriale : L'Affaire "Ebony Shine", le Yacht qui menaçait la diplomatie












