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INTERNATIONAL

Emplois, stabilité et voie à suivre : dans les coulisses des Assemblées annuelles 2025 du FMI et de la Banque mondiale


Alwihda Info | Par Olivier Noudjalbaye Dedingar, Expert-consultant international, humanitaire et journaliste indépendant. - 21 Octobre 2025


Les Assemblées annuelles 2025 du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international ont conclu les derniers jours des réunions non pas avec un simple communiqué, mais avec un mandat profond et complexe.


Ajay Banga, président du Groupe de la Banque mondiale. Photo : Banque mondiale.
Ajay Banga, président du Groupe de la Banque mondiale. Photo : Banque mondiale.
Réunis sous le thème ambitieux « Des secteurs aux systèmes : bâtir des économies créatrices d’emplois à grande échelle », ministres des Finances, gouverneurs de banques centrales, dirigeants de la société civile et dirigeants du secteur privé ont été confrontés à une double réalité.

D’un côté, le Groupe de la Banque mondiale, sous la direction dynamique d’Ajay Banga, a dévoilé un nouveau guide global pour le développement, axé sur la création d’écosystèmes d’emplois durables. De l’autre, le FMI, dirigé par Kristalina Georgieva, a dressé un diagnostic sans appel de l’économie mondiale : un monde marqué par une incertitude persistante, une dette étouffante et des fractures géopolitiques qui menacent de saper les fondements mêmes du progrès.

L’enjeu principal était clair. Alors que plus d’un milliard de jeunes sont sur le point d’intégrer le marché du travail mondial au cours de la prochaine décennie, la nécessité de créer des millions d’emplois de qualité transcende les considérations économiques. C’est, comme l’ont souligné les réunions, le chemin le plus sûr pour passer de la pauvreté à la dignité, à l’autosuffisance et à l’espoir.

La nouvelle stratégie de la Banque : des secteurs aux systèmes
La réponse de la Banque mondiale à ce défi représente un tournant stratégique majeur. Tout au long de la semaine, l’institution a prôné une transition intentionnelle, abandonnant le financement de projets isolés et ponctuels pour catalyser des écosystèmes économiques entiers.
Cette approche systémique a dominé le programme de la Banque, s’appuyant sur trois piliers : investir dans les infrastructures fondamentales et le capital humain ; soutenir les réformes politiques et réglementaires favorisant un environnement propice aux affaires ; et, surtout, mobiliser des investissements privés à une échelle que les institutions publiques seules ne peuvent pas mobiliser.

Cette nouvelle vision s’est articulée avec force lors du lancement d’AgriConnect, une campagne phare visant à transformer l’un des secteurs les plus anciens du monde. M. Banga a présenté une vision audacieuse pour remodeler l’agro-industrie, afin qu’elle assure non seulement la sécurité alimentaire, mais aussi l’emploi et la croissance à grande échelle. Aujourd’hui, les exploitations familiales, dont plus de 500 millions de petits exploitants, produisent environ 80 % de l’alimentation mondiale. Pourtant, paradoxalement, trop de personnes restent prisonnières de la pauvreté de subsistance, déconnectées des marchés, de la finance et de la technologie.

AgriConnect : un test pour l’investissement écosystémique
AgriConnect appelle à une coalition de capitaux privés, de gouvernements et de partenaires donateurs, afin d’investir dans les infrastructures, le financement et les cadres politiques nécessaires pour aider ces petits exploitants agricoles à évoluer vers des agro-entreprises durables.
« Nous nous sommes fixé comme objectif de doubler nos engagements en faveur de l’agro-industrie pour atteindre 9 milliards de dollars par an d’ici 2030, avec l’objectif de mobiliser 5 milliards de dollars supplémentaires », a annoncé M. Banga. Il a résumé la nouvelle philosophie collaborative de la Banque par un slogan mémorable : « Voler sans vergogne et partager sans entrave, c’est ainsi que nous réussirons ensemble. »

Cette réflexion systémique a été renforcée lors de nombreux événements. La première série de conférences de dirigeants a offert une plate-forme aux voix influentes, pour articuler politiques mondiales et impact local. Le Dr Mona Mourshed, PDG de l'association à but non lucratif Generation, a partagé des réflexions pratiques sur la transformation des systèmes d'éducation et d'emploi, afin de doter les jeunes des compétences nécessaires.
Plus tard dans la semaine, S.E. le Dr Rania Al-Mashat, ministre égyptienne de la Planification, du Développement économique et de la Coopération internationale, a abordé les aspects pratiques de la mise en œuvre de réformes aussi ambitieuses sur le terrain, mettant en avant les témoignages humains qui se cachent derrière les données de développement.

L'accent mis sur les données et les résultats était tangible. Le populaire Data Playground a permis aux participants d'explorer concrètement comment les données en temps réel influencent les décisions, tandis qu'un tableau d'offres d'emploi interactif a permis aux participants de construire numériquement leur propre « écosystème d'emplois », en s'appuyant sur le cadre à trois piliers de la Banque.

L'accent renouvelé mis par la Banque sur le partenariat a également été un thème central. La réunion annuelle avec les organisations de la société civile est devenue un forum d'échange ouvert entre M. Banga, sa haute direction et les dirigeants de la société civile mondiale. Ce dialogue a souligné que le progrès exige non seulement des capitaux, mais aussi de la confiance. Ce sentiment a été officialisé lors de la réunion du Comité de développement, où les gouverneurs des 189 pays membres ont approuvé la vision de la Banque pour une institution plus rapide et plus efficace. Ils ont réaffirmé l'appel lancé aux gouvernements et au secteur privé pour qu'ils réfléchissent différemment, en considérant les investissements non pas comme des solutions isolées, mais comme des éléments interconnectés d'un écosystème national de l'emploi.

Le diagnostic alarmant du FMI : un monde défini par la dette
Pourtant, alors que la Banque mondiale élaborait cet ambitieux plan de prospérité, le Fonds monétaire international (FMI) dressait un bilan alarmant de la situation. Les dernières Perspectives de l’économie mondiale et le Moniteur des finances publiques du FMI, publiés lors des réunions, dressaient le portrait d’une économie mondiale qui, bien que plus résiliente qu’on ne le craignait il y a six mois, restait fondamentalement fragile. La croissance est lente, l’inflation reste obstinément élevée et les taux d’intérêt sont élevés.

La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a insisté sur ce point lors de son discours d’ouverture et de ses points de presse. « L’incertitude est devenue la nouvelle norme », a-t-elle déclaré, identifiant un « nuage noir » qui plane toujours sur l’économie mondiale. La principale source de cette inquiétude est la dette. Si les niveaux d’endettement de certains pays à faible revenu ont diminué, c’est en grande partie parce qu’ils ont été exclus des marchés financiers. Dans les économies émergentes et industrialisées, la dette continue de grimper.

Mme Georgieva a été catégorique : « Des niveaux d’endettement élevés étouffent les économies. » Ce problème a constitué à lui seul la tension centrale des réunions de 2025. L’immense marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour créer des écosystèmes d’emploi, investir dans le capital humain et financer la transition climatique prônée par la Banque mondiale est tout simplement inexistante dans de nombreux pays. Elle est absorbée par des paiements de dette écrasants.

Un fossé grandissant : l’appel à la réforme face à l’inertie officielle
Tout au long de la semaine, l’écart entre la reconnaissance de cette crise et la volonté politique de mettre en œuvre une réforme systémique était palpable. Les appels à l’action, venus de l’extérieur des assemblées officielles, étaient clairs et nets. En amont des réunions, une lettre d’économistes de renom, publiée dans The Guardian, exhortait les ministres des Finances à un allègement immédiat et significatif de la dette.

Parallèlement, Reuters rapportait que 165 organisations de la société civile avaient exhorté le président sud-africain Cyril Ramaphosa à profiter de sa présidence du G20 pour promouvoir des réformes ambitieuses. Des responsables politiques africains, comme le ministre des Finances de Djibouti, Ilyas Moussa Dawaleh, ont fait valoir avec force dans des publications comme The Economist, que le continent avait besoin d’un nouvel accord sur la dette pour faire face à ses coûts d’emprunt exceptionnellement élevés.

Le Forum politique de la société civile, organisé simultanément, est devenu un carrefour de ces discussions cruciales. Des sessions telles que « Appel Jubilé 2025 pour une architecture de la dette équitable » et « Examen du rôle du FMI sur les questions de dette », ont cherché à combler le fossé entre impératifs éthiques et solutions politiques.

Malgré cette pression croissante, les communiqués officiels ont exprimé des inquiétudes sans apporter de changements structurels concrets. La déclaration du Groupe intergouvernemental des Vingt-Quatre (G24) a réaffirmé son soutien à « l'amélioration de la mise en œuvre du Cadre commun », sans toutefois exiger de nouveaux instruments. De même, le communiqué des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales du G20 a reconnu qu'une dette insoutenable compromettait le développement, mais n'a proposé aucun changement majeur par rapport aux positions existantes. La Table ronde mondiale sur la dette souveraine a reconnu que l'augmentation du fardeau du service de la dette évince les dépenses consacrées à l'éducation, à la santé et aux infrastructures, mais n'a recommandé aucune réforme en profondeur.

En substance, le consensus officiel reflétait une inquiétude croissante quant aux conséquences de la dette, mais pas encore un discours partagé selon lequel il s'agirait d'une défaillance systémique exigeant une solution systémique. Néanmoins, des sources internes ont signalé que les discussions privées lors des réunions à huis clos évoluaient, avec une reconnaissance croissante du fait que les pays sont désormais en défaut de développement, une reconnaissance qui pourrait ouvrir la voie à de futures batailles politiques.

Géopolitique, numérisation et nouveaux risques économiques
Des événements parallèles, organisés par des institutions telles que la Fondation Heinrich Böll et l'Atlantic Council, ont offert une vision alternative, absente des canaux officiels. S.E. Hailemariam Desalegn Boshe, ancien Premier ministre éthiopien, a souligné que si les économies en développement doivent améliorer leur gestion budgétaire et leur transparence, ces mesures nationales sont insuffisantes sans soutien international pour gérer les chocs externes.

Un consensus s'est dégagé lors de ces tables rondes en faveur d'une approche à deux volets : une restructuration globale de la dette des pays en difficulté, combinée à un élargissement des prêts concessionnels et à de nouveaux instruments liés au climat, tels que les obligations vertes et les échanges de dettes contre des instruments climatiques, pour les économies solvables, mais soumises à des contraintes de liquidités.

Alors que les réunions entamaient leurs dernières 72 heures, ces vents contraires macroéconomiques se sont mêlés à un risque géopolitique aigu. Le « Débat sur l'économie mondiale » de jeudi, auquel ont participé Mme Georgieva, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, et le président de Singapour, Tharman Shanmugaratnam, a instauré une attitude prudente. Mme Georgieva a ensuite exprimé son inquiétude particulière face aux tensions commerciales latentes entre les États-Unis et la Chine, avertissant qu'une interruption du flux de terres rares aurait un « impact important » sur la croissance mondiale.

La déclaration du président du Comité monétaire et financier international (CMFI), publiée vendredi, reflétait ce réseau complexe de risques. Elle soulignait les inquiétudes concernant les tensions commerciales, le potentiel disruptif de l'intelligence artificielle et les déséquilibres mondiaux excessifs, tout en appelant les banques centrales à maintenir leur engagement en faveur de la stabilité des prix.

Alors que ces risques existentiels étaient débattus, d'autres sessions ont exploré l'avenir des systèmes eux-mêmes. Le « Forum de la nouvelle économie », organisé jeudi et vendredi, s'est penché sur la numérisation de l'économie. Des panels sur les paiements numériques connectés et les technologies gouvernementales ont montré comment la technologie peut révolutionner les finances publiques et l'administration des recettes, ouvrant la voie à une mobilisation accrue des ressources intérieures dont les pays surendettés ont désespérément besoin. Des ateliers sur l'IA et les plate-formes numériques ont examiné comment ces forces transformatrices remodèlent la nature même des emplois, créant à la fois d'immenses opportunités et un risque important de licenciement.

Un double impératif : la synthèse entre emploi et stabilité
Lors de la clôture officielle de la semaine des Assemblées annuelles, c’est Ajay Banga qui a apporté la synthèse ultime, comblant le fossé entre les contraintes macroéconomiques du FMI et les aspirations humaines de la Banque mondiale. Il a réaffirmé que l’accent mis sur l’emploi ne constituait pas une rupture avec le travail traditionnel de la Banque, mais son aboutissement ultime.

« En nous concentrant sur l’emploi, nous ne nous détournons pas des soins de santé, des infrastructures, de l’éducation ou de l’énergie ; nous redoublons d’efforts sur chacun d’eux », a-t-il conclu. « Un emploi, c’est ce qui se crée lorsqu’une école mène à une compétence, lorsqu’une route mène à un marché, lorsqu’une clinique maintient une personne en bonne santé pour travailler, lorsque l’énergie alimente une entreprise. C’est ainsi que nos efforts convergent… C’est ainsi que nous offrons ce que les gens désirent le plus, ce dont ils ont le plus besoin et ce qu’ils méritent le plus : un emploi, une chance, un avenir et la dignité. »

Les Assemblées annuelles de 2025 se sont donc conclues par un nouveau plan d'action ambitieux pour le développement, mais ont rappelé avec force, la fragilité mondiale qui menace sa mise en œuvre. Le message central de la semaine a été celui d'une profonde interdépendance.
L'ambition systémique de la Banque mondiale en matière de création d'emplois ne peut se concrétiser sans la stabilité macroéconomique, la marge de manœuvre budgétaire et la coopération multilatérale que prône le FMI. Les délégués ont quitté Washington avec la conviction que la croissance durable, la réforme systémique et la dignité humaine ne sont pas des objectifs distincts, mais des composantes de la tâche commune la plus urgente et la plus indivisible de l'humanité.

Une scène des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI en 2025. Photo : Paul Blake / Banque mondiale.
Une scène des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI en 2025. Photo : Paul Blake / Banque mondiale.

Le G20 et le président sud-africain Cyril Ramaphosa, Photo : REUTERS
Le G20 et le président sud-africain Cyril Ramaphosa, Photo : REUTERS



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