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ANALYSE

Guerre de Kibati : A qui profite l'escalade ?


Alwihda Info | Par Onesphore Sematumba - 3 Septembre 2013



Guerre de Kibati : A qui profite l'escalade ?
Goma, 2 septembre 2013
Par Onesphore Sematumba


1. Les soldats de la paix sur le front de la guerre

Après une semaine folle, le ciel au-dessus du lac Kivu va-t-il retrouver un peu de sérénité ? Tout commence le 22 août 2013, lorsque des obus s’abattent sur la ville de Goma. Les quartiers de l’Ouest (Ndosho, Mugunga, Nyabushongo), sur l’axe Goma-Sake, l’épine dorsale de la Zone de sécurité instituée par la MONUSCO, sont durement touchés. On compte des morts, on relève des blessés, on observe les destructions. Pendant dix longs jours, les Gomatraciens, ainsi que s’appellent les habitants de cette ville coincée entre le lac Kivu au sud et le volcan Nyiragongo au nord et dont l’extension à l’Est s’arrête net à la frontière rwandaise où commence sa jumelle de Gisenyi, les Gomatraciens ont donc vécu la peur au ventre. A la fin de la saison sèche, il s’était mis à pleuvoir, des bombes. De là, au nord, dans les faubourgs tout proches, les rebelles du mouvement du 23 mars, le M23, étaient de nouveau aux prises avec les forces armées de la RDC, les FARDC. Pour un autre tour de combats, après tous ceux qui ont précédé sans que les deux parties ne se sentent ni épuisées ni satisfaites.

Mais ce tour-ci n’était pas comme les autres. Jamais auparavant des bombes n’avaient été larguées en plein jour sur les quartiers habités. L’une d’entre elles est même allée choir dans l’enclos d’un agent de la MONUSCO, non loin de la résidence du colonel Mamadou des FARDC, à quelques mètres derrière l’immeuble qui abrite plusieurs institutions d’enseignement supérieur de Goma. Face à cette violation flagrante de la Zone de sécurité établie quelques semaines auparavant par la MONUSCO, tout le monde s’est retourné contre cette dernière, accusée de ne pas faire intervenir sa Brigade contre le M23. Les jeunes désoeuvrés, les conducteurs des taxis motos –appelés ici motards- les autorités provinciales et municipales ont littéralement poussé les Casques bleus dans la guerre. Et ceux-ci ont décidé enfin de s’engager au front, sur la ligne de Kanyaruchinya, aux côtés des FARDC. Pendant dix longs jours, le ciel était régulièrement troué par les détonations des bombes, strié par les éclairs des tirs des hélicoptères blancs de l’armée de la paix. Du nord, des obus atterrissaient vaille que vaille sur les quartiers de Goma ; le jeudi 29 août, deux de ces engins de mort ont achevé leur course folle dans la ville siamoise de Gisenyi au Rwanda occasionnant la mort d’une femme et blessant son bébé- orphelin, après plusieurs autres qui étaient tombées dans la campagne rwandaise, sans susciter d’émoi particulier.

Dans ce drôle de jeu, l’on a remarqué une constante : le tir de trop, le tir de travers, le tir tout court venait toujours du camp adverse. Et même l’initiative des hostilités. Chaque partie affirme n’assurer que sa défense, rien de plus. Dix longs jours plus tard, les combats se sont éloignés de Goma, sans que l’on sache s’ils sont terminés. Et encore une fois, la cacophonie est totale : le M23 affirme s’être retiré pour laisser une chance à la paix alors que les FARDC clament une victoire éclatante sur un ennemi en déroute.

2. Piège de l’ennemi ou… piège ethnique ?

Il y a un réflexe devenu courant et qui est extrêmement dangereux dans la sous-région des Grands lacs africains : c’est celui de rechercher systématiquement le bouc émissaire au lieu de chercher la solution. Dans une situation comme celle de la guerre qui sévit à l’est de la RDC, le bouc émissaire est l’Autre. Et l’Autre est celui qui pense différemment de moi, dont l’opinion est quelque peu divergente par rapport aux enjeux en présence et aux stratégies pour y faire face. L’Autre, c’est aussi et souvent celui qui, physiquement, ne me ressemble pas, parce qu’il est plus petit ou plus grand, parce qu’il a une excroissance corporelle spécifique plus prononcée que la mienne, etc. Avec tous les risques que pareilles stigmatisations peuvent drainer dans une société marquée par les séquelles des conflits récurrents, basés justement sur ces considérations d’altérité.

Au cours de cette saison des bombes à Goma, quelques cas nous ont alertés. Nous n’en citerons que deux. Le premier concerne M. Thomas (nom d’emprunt). Le 24 août 2013, cet enseignant cinquantenaire revenait d’une petite promenade lorsque, arrivé au niveau du camp des Casques bleus uruguayens basés du côté de l’aéroport, il a constaté que des jeunes gens étaient en train de lancer des projectiles sur le camp. Ce jour-là, une bombe avait tué des gens à l’ouest de la ville, dont une adolescente dont le corps avait été promené sur une civière dans la rue par des jeunes qui clamaient leur ras-le-bol, face à l’inaction de la Brigade de la MONUSCO. Maître Thomas, préféra prendre un petit chemin de traverse pour ne pas être pris dans le tourbillon de violence en face de lui. Mal lui en prit. A peine avait-il quitté la route principale qu’il tombait sur une horde de jeunes armés de gros cailloux qui se dirigeaient vers le camp uruguayen. L’un d’eux, à la vue de Thomas, cria : « Les voilà ! » (« Njo bale ! » au pluriel) et lui lançant un projectile sur la tête. Le pauvre Thomas tomba, la face contre terre, plutôt contre une autre pierre ; Goma est jonché de pierres de lave, on ne peut pas y tomber autrement. La horde s’avançait vers l’enseignant gisant au sol pour le lapider lorsqu’une voix s’éleva : « Non ! Ne le tuez pas, ce n’est pas un Tutsi ! Il enseigne dans une école non loin d’ici ! » Imperturbable, celui qui voulait lui asséner la pierre punitive confirma : « Je sais qu’il est professeur, mais il passe trop de Tutsi rwandais chez lui ; c’est un traître ». Heureusement pour Thomas, la horde continua sa route vers le camp des Uruguayens. Ce jour-là, deux manifestants furent tués par balles, mais personne ne reconnaît les avoir tués. L’enquête est en cours. Thomas, quant à lui, méditera longtemps sur les risques d’enseigner dans une école fréquentée par des élèves dont certains viennent chaque matin de l’autre côté de la frontière.

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