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INTERVIEW

« Le nombre de visites des chefs d’Etat ne traduit pas forcément la densité de la coopération ni la consistance des relations ».


Alwihda Info | Par - 6 Juillet 2015


Entretien du Pr. SHANDA TONME,Président de la Fondation nationale de politique étrangère et Président de la commission indépendante contre la corruption et la discrimination avec un groupe de journalistes


Professeur Shanda Tonme
Professeur Shanda Tonme
 
Pr. Shanda Tonme, bonjour et merci une fois de plus de nous faire l’honneur d’accepter notre sollicitation pour nous éclairer sur la visite qu’effectue François Hollande au Cameroun.
Vous êtes toujours les bienvenus chez moi. Je crois que chaque fois que j’ai pu être disponible, j’ai toujours répondu favorablement à ce genre de sollicitation. C’est un échange utile qui enrichi tout le monde, y compris moi-même.
D’abord, quel sentiment vous inspire cette visite ?
Je n’ai aucun sentiment particulier à propos, parce que dans le cours normal des relations entre Etats, une visite de chef d’Etat rentre dans l’ordre des choses, une routine en somme.
 Oui Professeur, mais sauf que l’on ne peut plus ou pas parler de routine pour la visite d’un chef d’Etat français au Cameroun.
Et pourquoi donc ?
Mais Pr. Vous savez vous-même qu’il y a bien longtemps qu’un chef d’Etat français a foulé le sol camerounais. Manifestement il y a un problème qui enlève le caractère de routine à la visite de Hollande.
C’est vrai, d’un point de vue objectif, matériel, conséquent et contemplatif à la fois, vous avez sans doute raison. Il demeure qu’il ne faut pas confondre le principe et l’analyse. C’est deux choses tout à fait différentes en termes d’approche. Le nombre de visites des chefs d’Etat ne traduit pas forcément la densité de la coopération ni la consistance des relations. Ce qui importe, c’est d’avantage l’ensemble des éléments objectifs en termes économiques, commerciaux, conventionnels et humains qui meublent en permanence les relations entre deux Etats dans un mouvement vivant.
5 – Pr. Nous voulons bien accepter ce cours de relations internationales, mais nous avalons mal, parce que la réalité nous indique des zones d’ombres que personne ne saurait nier.
Ecoutez, je ne suis pas et je n’ai jamais été adepte de la langue de bois. La perception des relations entre les deux pays a depuis la présidence Sarkozy, connu une tendance très négative que même quelques déclarations rassurantes de part et d’autres, n’ont pu dissiper ni atténuer. De ce point de vue, il est tout à fait légitime de se poser des questions et de ne pas faire de la visite de Hollande, un événement de routine. La gêne est réelle et le fait indiscutable.
 C’est exactement ce que nous voulons entendre. Il y a comme un boycott du Cameroun depuis un certain temps, et même par les américains. Etes-vous en accord avec nous ?
Mais qu’est-ce qui vous amène à faire cette affirmation ? Boycott me semble un peu trop fort. Peut-être que froideur pourrait mieux convenir à l’élégance de langage que requiert une certaine prudence.
 Trop de choses. Comment expliquez-vous que François Hollande et avant lui Sarkozy, ait visité plusieurs fois nos voisins, mais sans jamais faire une simple escale chez-nous ?
Effectivement, il y a là quelques troubles qui agitent depuis longtemps les Camerounais de l’intérieur comme ceux de l’extérieur. Qu’il existe un contentieux franco-camerounais n’est pas exclu, mais je signale qu’il en existe dans tous les couples diplomatiques. Je peux comprendre que de Paris, des réseaux posent le problème de la longévité du pouvoir de Yaoundé comme un handicap, un frein et une gêne, mais je ne vois pas en quoi la coopération entre les deux Etats a baissé d’intensité. Il y a de part et d’autre beaucoup de souci de réalisme et de pragmatisme malgré tout. N’oubliez surtout pas la position géopolitique de Yaoundé dans la sous-région. Yaoundé est forcément le pôle central de toutes les grandes manœuvres et de toutes les planifications à court comme à long terme. La nature du régime politique et encore moins l’identité du détenteur du pouvoir n’y change pas les données fondamentales, les données de base, les éléments stables et immuables.
Pensez-vous que ceux qui voient dans cette visite un lobbying pour l’octroi de la gestion des terminaux à conteneurs de Kribi à Bolloré ont raison ?
Ah là, non, non et non mille fois. C’est une grave erreur de penser ainsi. Je dois vous révéler un fait qui me vient de l’expérience de mes entretiens avec de nombreux ambassadeurs qui ont été en poste à Yaoundé. C’est qu’en fait, Paul Biya est plus indépendant pour ses grandes décisions que la plupart des gens ici et ailleurs le croient. Si c’est vraiment pour cette affaire, je doute infiniment que le président cède aussi facilement aux pressions. Il y a eu trop de confusions, de tentatives de pression, d’achats de consciences, de mise en mission des journalistes et de différents lobbies sur ce dossier, mais je doute que ce soit par-là que le dénouement intervienne.
 Pr, vous parlez ainsi alors que vous avez vous-même pris position pour une des parties ?
Alors là, pas question de laisser faire en tant que citoyen. Le dossier m’a été présenté sous l’angle le plus véridique, avec les contorsions et les magouilles des uns et des autres. Je n’ai pas hésité un seul instant, comme toujours d’ailleurs, de monter en première ligne pour dénoncer, encourager les décideurs de notre pays à tenir bon, à choisir la meilleure offre. J’ai reçu des pressions intenses et même des propositions de valises pour changer d’avis, pour soutenir un camp, mais j’ai refusé catégoriquement. J’ai agis au nom de la commission indépendante contre la corruption et la discrimination que j’anime et dont vous connaissez tous l’intégrité, la respectabilité et l’efficacité. C’est le lieu de conseiller une fois pour toute à mes amis comme vous, de m’épargner de leurs messages et flatteries quand ils se font messagers des lobbies qui veulent asphyxier le Cameroun en corrompant tout le monde. Certains sont venus de loin, de l’étranger pour obtenir ma voix. J’ai dit non. Paul Biya ne cèdera pas à la pression et je lui fais confiance. Trop c’est trop.
 Mais prof, apparemment vous vous énervez sur ce dossier ? Auriez-vous quelques rancœurs ou des comptes à régler avec des gens ?
Non, pas du tout. Ce qui m’anime, c’est la justice, la vérité, le destin du Cameroun. On ne peut pas quand même être devenu un pays où il n’existe plus aucun ressort, aucun palier de résistance contre les interférences négatives et ruineuses. Oui, je suis absolument remonté par exemple pour ce qui se passe à la SOCAPALM. Comment voulez-vous que l’huile de palme subventionné soit rare chez-nous, que des actionnaires locaux en collusion avec les grands groupes multinationaux, nous dépravent de notre patrimoine, font ce qu’ils veulent, empochent des milliards sous des combines à ciel ouvert ? On retrouve les mêmes lorsqu’il s’agit des chemins de fer. Allez voir à quoi ressemble la gare de Bessengue qui jadis faisait notre fierté, une varie poubelle. Il ne reste plus que la structure en béton lourd que vous voyez. L’intérieur est pourri et tombe en lambeaux. Regardez le parking, les voies d’accès. C’est une honte terrible, un vol, une injure contre le cahier de charges et contre le peuple camerounais. Il faut mettre fin à toutes ces humiliations. Voilà ce qui me choque. En réalité aucun des cahiers de charges sortis des privatisations n’a jamais été respecté. Ne parlons même pas du PMUC. C’est un immense et insoutenable scandale.
Prof Shanda Tonme, est-ce qu’il faut revoir la coopération avec la France ?
Il faut revoir la coopération avec tout le monde, pas seulement la France. Je refuse des fixations subjectives ou incantatoires qui débouchent sur des diatribes parfois insensées. Il me semble tout à fait normal, une fois de plus, que deux Etats mettent régulièrement sur la table, les dossiers qui les préoccupent mutuellement et trouvent des solutions. Cette observation vaut pour la relation Cameroun-France comme pour les autres.
 Oui mais prof, vous êtes sans ignorer que l’on a entendu par ici, et de façon même officielle, que la France ne nous soutenait pas assez dans la guerre contre Boko Haram ?
Oui, c’est indéniable, puisque le ministre de la communication s’est fendu lors d’un point de presse dans ce sens de façon presque explicite. Mais la réalité est loin d’une affirmation si brutale. Paris demeure un partenaire très sûr sur tous les plans pour Yaoundé dans le contexte actuel, y compris militaire, et ce n’est pas l’absence de visite de chef d’Etat qui y changera quelque chose. Dans cette affaire, il y a de nombreux paramètres qui échappent à la perception immédiate de l’opinion et à l’analyse rudimentaire et première du journaliste. Les enjeux sont autrement plus complexes et mettent en exergue un catalogue d’exigences, de demandes, de souhaits, de calculs et de programmations. La guerre ne se limite pas à la confrontation des canons et aux mouvements des troupes, elle comporte des étapes, des manifestations et des objectifs au-delà. L’échiquier est bien plus large que le petit champ de bataille frontalier.
 Nous vous signalons que l’ambassadrice de France a quand même été huée lors de la marche du 28 février contre Boko Haram sur le boulevard du 20 mai.
Ne confondez pas la clameur populaire avec la réalité des sentiments de toute une nation et ne prenez point les excitations de quelques circonstances malheureuses ou heureuses, pour la doctrine d’une diplomatie. Ceux qui se sont laissé aller à ce débordement ont eu tort. Je n’ai pas partagé et je ne partage pas cette façon de faire. Certes, il faut reconnaître à chacun le droit d’exprimer son sentiment de la façon la plus libre et selon l’entendement qu’il a du sens des choses. Mais dans le cas d’espèce, rien ne permet d’incriminer la France dans la guerre que nous menons contre la nébuleuse terroriste, et encore moins d’indisposer son ambassadeur sur place. Ne demandez pas à cette diplomate d’ailleurs sympathique de régler la note de nos multiples frustrations passées et actuelles.
 Prof, vous défendez la France ?
Jamais, je ne défends personne ni aucun Etat. Je me fais didactique et réaliste et c’est tout. Si nous voulons revoir notre coopération avec la France, il faudra bien commencer quelque part. C’est d’ailleurs légitime d’envisager une redynamisation dans un sens comme dans un autre, de la relation avec un partenaire stratégique, historique, culturel, économique et diplomatique de cette qualité, une qualité unique et un statut d’exception. Cette démarche s’impose à nous. Mais il faut se rappeler de la critique formulée par Lula, l’ancien président et syndicaliste brésilien à l’endroit de l’élite africaine : précipitation ; manque de stratégie et d’intelligence ; agitation stérile ; absence de discrétion. En somme, Lula dit de nous que nous montrons trop vite la couleur lorsque nous voulons faire quelque chose, et prêtons le flanc à l’ennemi pour nous anéantir. Voilà comment il explique les erreurs des nationalistes et patriotes africains. Peut-être que c’est un appel à plus de responsabilité et de sagesse. Savoir aboyer, comment, quand et dans quelle intensité. Savoir bâtir des alliances même de circonstance, et non devenir le chien qui aboie inutilement pendant que la caravane poursuit imperturbablement sa route.
 En résumé, que dites-vous à propos de cette observation de Lula ?
Mais c’est tout simple. Il faut faire plus attention quand on traite avec un pays qui a formé plus des trois quart de nos dirigeants politique et de notre élite intellectuelle. La démarche doit être mieux assise, mieux pensée et nettement plus intégrée, prenant en considération de nombreux paramètres. La révolution c’est d’abord l’intelligence dans la persévérance, la détermination. Le courage seul ne suffit plus ou pas. Nous devons tirer les conséquences de nos erreurs historiques.
Maintenant, et si Hollande venait aussi pour plaider la cause de Lydienne Eyoum, avocate française ?
C’est vous qui l’appelez avocate française. Pour moi c’est une justiciable camerounaise. Et même, en admettant sa supposée nationalité française que je qualifie d’emprunt, de subjective et de malicieuse, qu’est-ce qui met un étranger qui s’est rendu coupable d’actes répréhensibles au Cameroun, à l’abri de la justice camerounaise ? Il faut cesser cette présentation du monde qui tend à faire avaliser l’idée selon laquelle la justice, la vérité et la raison ne peuvent être dites, interprétées, martelées et consacrées que si elles sont exprimées, annoncées et imposées par l’Occident. Cette jeune et coquette dame sait très bien qu’elle a détourné les fonds publics et Hollande le sait également. Cessez de nous agacez avec des réseaux mafieux insensés. Voilà une avocate qui par une simple combine avec des comparses officiels, empoche plus d’un milliard, et vous me dites que le président français viendra la sortir de prison. Vraiment, de quoi plaindre les pauvres qui ne peuvent pas eux-aussi s’octroyer la nationalité française pour échapper à la justice de leur pays. Si c’est le précédent de Michel Thierry Atangana qui fait s’agiter certains, je leur rappelle que ce dossier n’est pas clos pour les Camerounais. Nous allons l’ouvrir à nouveau tôt ou tard. Ce n’est qu’une question de temps, de génération et sans doute de régime. Cet avertissement vaut pour tous ceux qui se mettent à l’abri de la justice avec des combines malsaines aujourd’hui.
Trois heures, est-ce suffisant pour traiter des questions importantes, quand on a mis tant de temps sans se voir ?
Mais chers amis, sommes-nous dans un ménage familial ? Et puis, quelle est cette histoire où l’on croit qu’il faut absolument des jours pour régler des dossiers ? En une heure,  des tas d’accords peuvent être conclus et signés. D’ailleurs, à quoi pensez-vous que servent les ambassadeurs ? Les chefs d’Etat jouent le plus souvent un simple rôle d’arbitre et de finalisation des dossiers. Ils instruisent leurs collaborateurs, supervisent, se font rendre comptent, corrigent rectifient et décident. Voilà le créneau. C’est vrai que la symbolique l’emporte parfois avec le temps mis, les audiences et les descentes sur le terrain dans le pays, mais à la fin, ce qui reste c’est le concret, ce que l’on s’est dit en une seconde, une minute une heure.
Pensez-vous que c’est pour des raisons de sécurité que Hollande ne passe pas la nuit au Cameroun ou alors qu’il veut banaliser sa visite ?
Ah non, il n’y a pas de visite banale de chef d’Etat, parce qu’il n’existe pas non plus de chef d’Etat banal ou petit en droit international. Le souverain français effectue une tournée de quelques capitales africaines avec un agenda dont il est le seul maître. Il ne faut pas chercher à lui en imposer. Par ailleurs, les visites sont précédées de négociations et d’échanges verbaux ou écrits de toute nature sur les moindres détails entre les Etats. Nous pouvons bien avoir refusé à Hollande de passer la nuit chez nous, pourquoi pas ?  Il faut se garder de trop s’avancer dans des conclusions lorsque l’on traite des faits et événements diplomatiques. Les relations internationales forment un monde où les signes, les gestes, les acquis et les absences comptent. C’est d’avantage ce qu’on ne voit pas et ne sait pas, qui prend de l’importance, tient l’influence, et cadre les décisions.
Et si Hollande avait à cœur de contrer l’influence chinoise au Cameroun ?
De quelle influence chinoise parlez-vous dans un pays où comme je l’ai déjà souligné, près de trois quart de l’élite dirigeante et intellectuelle est de formation française, de culture française et impliquée dans des réseaux de toute nature avec des attaches en France ? Certes, la Chine est très active au Cameroun à travers quelques grands projets infrastructurels, mais la réalité est plus complexe et n’autorise pas de parler d’influence chinoise. Paris peut encore dormir longtemps sur ses acquis ici, avec une dominance dans le pétrole et dans bien d’autres secteurs stratégiques. Je n’évoque même pas le groupe Bolloré qui est une véritable pieuvre omniprésente et qui en veut toujours plus. Par contre, il y a lieu de s’interroger sur la façon dont la France perçoit à court, à moyen ou à long terme, le caractère bilingue du pays. Nous sommes dans une situation politique où il faut nécessairement pour ne pas dire absolument, un rééquilibrage des influences pour tenir compte de la dimension anglo-saxonne de notre pays. Paris doit jouer un rôle positif dans ce sens pour éviter l’accumulation des frustrations de nos compatriotes anglophones. Ces frustrations comme vous le savez, prennent de temps à autre la forme d’appel sécessionniste voire indépendantiste.
Je mentionne à ce propos des influences, que les investisseurs américains ne sont pas en reste, et se signalent déjà par quelques projets importants, notamment dans le secteur hydroélectrique avec le futur barrage de Grand Eweng sur la Sanaga qui sera réalisé par la société Hydromine, de même que la fourniture de l’Eau à la ville de Yaoundé. A terme, il faudra bien que la France compose avec de nombreux autres partenaires. La déclaration de Paul Biya au lendemain de son accession à la tête du pays et selon laquelle, « le Cameroun n’est la chasse gardée de personne », revêt de ce point de vue, une importance significative./.
 
Croyez-vous que Hollande puisse conseiller à Paul Biya de laisser le pouvoir, au moment où il proclame partout qu’il est contre un troisième mandat au Burundi, et dans les deux Congos ?
Et de quelle manière donc, si vraiment c’est possible ? Et puis, les relations de la France avec l’Afrique ont deux aspects, l’aspect proclammatoire voire recommandatoire, et l’aspect décisionnel voire concret et obligatoire. J’emprunte encore là, une comparaison qui se fait en droit international dans l’analyse de la valeur et de la validité juridique des actes des organisations internationales. Il y a des résolutions qui ont valeur de recommandation et il y a d’autres qui ont valeur de décision. Laissez de côté les bonnes intentions humanistes et quelque peu romantiques de Mitterrand à La Baule. Je vous invite à descendre sur terre dans le réalisme de l’instrumentation concrète et cynique voire machiavélique des relations interétatiques./.
 Entretien réalisé à Yaoundé, le 29 Juin 2015
 
Ismael Lawal
Correspondant d'Alwihda Info à Yaoundé, Cameroun. +237 695884015 En savoir plus sur cet auteur



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