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AFRIQUE

Me Moustapha Diop : Un plus qu’avocat du « Témoin », un frère !


Alwihda Info | Par Mamadou Oumar NDIAYE - 21 Juin 2014



Avec le décès de Maître Moustapha Diop, ce sont plusieurs séquences, plusieurs chapitres de la vie du « Témoin » qui se referment tant l’homme fut parmi nos compagnons de route les plus illustres. Sans lui, sans sa connaissance du droit pénal en particulier, sans sa maîtrise des procédures relatives aux délits de diffamation et d’injures, sans son éloquence, sans ses conseils avisés aussi, sans doute, notre journal aurait cessé de paraître depuis longtemps. Car l’homme qui a poussé son dernier soupir lundi dernier dans la matinée, a été l’avocat attitré du « Témoin » de la belle époque, lorsque cette gazette faisait trembler les puissants, révélait les scandales en cascade, moquait la société bienpensante, abordait des sujets tabous, caressait l’opinion à rebrousse-poil et naviguait à contre-courant de tout. Un journal iconoclaste, anticonformiste, impertinent, insolent même dans un Sénégal pas encore libéré comme il l’est aujourd’hui et qui ne connaissait pas encore l’explosion médiatique actuelle. Pionnier de la presse people et des informations coquines, contradicteur des gouvernants, n’hésitant pas à fouiller dans les poubelles et à attenter bien suivant à la vie privée des grands de ce pays, ce qui était alors « l’hebdo du mardi » ne pouvait pas manquer d’être traîné devant les tribunaux pour expier ses « crimes » et répondre de son outrecuidance. Le journal enfilait donc les procès en diffamation et en injures publiques comme d’autres des perles. Résultat : une trentaine de procès en dix ans à peine, ce qui avait fait de l’auteur de ces lignes le recordman du Sénégal des procès en diffamation. Et si le « Témoin » n’a pas laissé finalement trop de plumes dans ces procès — même si les lourdes condamnations pécuniaires  ont sans doute compromis le développement de cette entreprise qui aurait dû figurer aujourd’hui parmi les plus grosses du secteur de la presse —, nous le devons incontestablement à Me Moustapha Diop. Pour la plus grande partie de ces affaires, il nous a défendu tout seul. Quand on appelait les journalistes du « Témoin » à la barre, il se tenait toujours à leurs côtés, leur chuchotant des réponses, leur indiquant par le regard ou par le geste l’attitude qu’il fallait adopter, volant à leur secours parfois lorsque leurs explications risquaient de les enfoncer. Pour finir, dans des plaidoiries magistrales dites d’une voix de stentor, ce ténor du Barreau arrivait bien souvent à retourner bien des situations compromises en notre faveur, et à désamorcer la hargne de magistrats qui ne rêvaient bien souvent, sinon de placer ces récidivistes et empêcheurs de tourner en rond du « Témoin » sous mandat de dépôt, du moins de les condamner à payer des dommages et intérêts qui les inciteraient à fermer leur journal. C’était un plaisir d’écouter les plaidoiries de Me Moustapha Diop : documentées, elles faisaient ressortir non seulement les textes régissant l’exercice de la profession de journaliste, expliquant les difficultés  dans lesquelles travaillent bien souvent ceux-ci dans notre pays, elles étaient aussi des merveilles de droit en ce sens qu’il citait toujours une abondante jurisprudence adaptée à la situation. Et lorsque la situation était réellement carabinée pour ses clients, il n’avait pas son pareil pour jouer sur la corde sensible de leurs juges. Des juges pour lesquels, entre parenthèses, il a toujours  eu le plus grand respect de même d’ailleurs qu’il en a toujours eu pour ses confrères lorsque ceux-ci étaient en face de lui dans une affaire. Bien évidemment, en matière de procès en diffamation, la plaidoirie, c‘était le dernier acte puisque le travail de l’avocat commence dès que son client lui apporte une citation servie par un plaignant par le biais d’un huissier de justice. A partir de ce moment, il faut rassembler les éléments de preuves et les faire parvenir à la partie plaignante, mais aussi au parquet, dans un délai de 10 jours. Et cela, Me Moustapha Diop y veillait scrupuleusement afin que nous ne soyons pas forclos ou déchus de nos droits de faire valoir nos preuves à la barre. Au vrai, il nous a appris à préparer un procès en diffamation à un moment où ce genre d’affaires était très rare à la barre de nos tribunaux. Et l’on peut dire sans risque de se tromper qu’il était un des avocats sénégalais qui maîtrisaient le mieux cette procédure très technique. Nous mêmes on s’y connaissait tellement que, parfois, en recevant une citation, on pouvait savoir si elle était bien rédigée ou pas et si elle allait franchir ou pas l’obstacle de l’exception de recevabilité ! Après les brillantes plaidoiries de Me Moustapha Diop, il pouvait arriver que nous soyons condamnés et là, après notification du jugement, il fallait aussi préparer les défenses à exécution provisoire ou, en cas de continuation des poursuites ordonnée par la justice, les référés sur difficultés. Voire se pourvoir en appel ensuite. Et puis voilà, en un moment donné, « Le Témoin » s’était fait trop d’ennemis et le pauvre Moustapha Diop n’en pouvait plus non seulement de perdre des amis à cause du « Témoin » pour qui il plaidait par amitié plutôt que pour autre chose, mais aussi était regardé avec suspicion par ses camarades de la LD. En effet, il arrivait que nous ayons maille à partir avec des alliés de la Ld/Mpt (Ligue démocratique/Mouvement pour le Parti du Travail), son parti. Ce fut le cas lorsque l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, avait porté plainte contre nous pour « diffamation ». Nous avions osé écrire qu’il avait bénéficié d’un quota de riz destiné à être commercialisé, alors qu’il était ministre d’Etat du gouvernement Diouf ! Gêné, Me Moustapha Diop nous avait expliqué que, pour des raisons politiques et en raison de la trop étroite alliance entre son parti et le Pds, il ne pourrait pas nous défendre dans cette affaire. Pour ne plus le gêner, nous avions changé d’avocat mais il était toujours resté notre ami. On l’appelait, il nous donnait des éclairages sur certains dossiers, nous livrait en « off » des informations.
 
Je n’oublierai jamais une chose : une fois, nous avions écrit un article qui avait beaucoup mécontenté les Layènes. Ils nous avaient envoyé trois cars rapides remplis de gros bras pour nous faire la fête. Fort heureusement, ces commandos n’avaient trouvé aucun des journalistes qu’ils cherchaient sur place. Pendant quelques jours, d’ailleurs, un détachement du GMI avait gardé nos locaux alors sis avenue Faidherbe, à Dakar. Ayant appris cet incident, Me Moustapha Diop m’avait appelé un soir pour me demander de l’attendre car il avait quelque chose d’important à me dire. Lorsqu’il vint à mon domicile, il me dit que le khalife général des  Layènes nous attendait tous les deux à dîner. Je n’étais pas chaud, il me rassura.  Il me prit dans sa voiture. Effectivement, Mame Alassane Laye dit Baye Rane nous attendait. Il avait évacué tout le monde si bien qu’il n’y avait que nous trois dans son salon. Pendant trois heures de temps, le saint homme nous avait parlé de lui, son itinéraire, sa vie entière faite de labeur pour dire qu’il avait toujours gagné  celle-ci à la sueur de son front jusqu’à sa retraite et qu’il tenait à payer lui-même ses factures. Histoire de montrer que, pour lui, marabout ne rimait pas avec parasitisme. Cette simplicité m’avait beaucoup touché. Par la suite, « Baye Rane » était devenu un grand ami du « Témoin » dont il n’a plus raté un seul numéro ! Et la diplomatie souterraine qui avait rendu possibles ces retrouvailles, elle était l’œuvre de Me Moustapha Diop !
La dernière fois que je l’ai vu, c’était encore au tribunal, il y a quelques mois. J’étais  une nouvelle fois appelé à comparaître pour une affaire de diffamation mais ça faisait longtemps qu’on ne m’avait plus poursuivi, la relève devant les prétoires ayant été prise par une nouvelle génération de journalistes. Ce jour-là, je l’avais taquiné sur la fameuse médiation pénale qui avait permis à l’ancien directeur du Cadastre, M. Tahibou Ndiaye, d’échapper à la prison. J’étais avec Me Cheikh Koureyssi Bâ. Me Moustapha Diop nous a donné des confidences sur les dessous de cette affaire — en off bien sûr — avant de s’écrier : « tu sais Oumar, on a vécu tant de choses dans ce pays toi et moi que, si on décidait d’écrire un livre, on ferait trembler la République ! » Puis, il avait posé son bras sur mes épaules avant de faire quelques pas avec moi vers la sortie. C’était la dernière fois que je le voyais… Puisse le bon Dieu accueillir da ns son Paradis ce défenseur infatigable de la veuve et de l’orphelin, ce redresseur de torts qui avait horreur de toute injustice!
 
Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » N° 1169 –Hebdomadaire Sénégalais ( JUIN  2014)



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