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REPORTAGE

Tchad: gouvernement et opposition s'expliquent à contrario à Paris


Alwihda Info | Par - Җ€BIЯ - - 14 Mars 2008


La gravité de la situation qui a prévalu au Tchad après la bataille de N'Djamena a contraint le gouvernement tchadien à dépêcher trois de ses ministres pour effectuer une tournée à Bruxelles, à Paris puis à New York dans la perspective d'apporter des preuves attestant une « agression ourdie par le Soudan contre le Tchad.» Quant au deuxième survivant du rapt du 3 février, l'opposant N'garlejy Yorongar, arrive lui aussi en France pour donner sa version des faits après s'être enfui du Tchad via le Cameroun.


Tchad: gouvernement et opposition s'expliquent à contrario à Paris
Le reportage ci-après aurait pu être rendu public au moment de la tenue de la conférence de la délégation ministérielle tchadienne à Paris le 22 février n’eût été la réapparition dans des conditions mystérieuses de l’un des trois opposants enlevés début février par les hommes du pouvoir au Tchad. Ladite conférence a coïncidé avec la « réapparition » de Ngarlejy Yorongar à la même date au Tchad. Sachant que l’opposant en question, Monsieur Yorongar, allait devoir arriver en Europe pour expliquer comment les choses se sont déroulées, il a été jugé opportun de retarder la publication du présent reportage pour cejourd’hui en vue d’un décryptage comparatif de deux versions : la parole du gouvernement tchadien contre celle de l’opposant radical au régime de N’Djamena.

Tchad: gouvernement et opposition s'expliquent à contrario à Paris

Par Mohamed A. Kébir

L’offensive lancée par les rebelles début février contre plusieurs localités tchadiennes et qui a débouché sur la chute de N’Djamena pendant quelques heures entre les mains des assaillants a eu pour conséquences une répression aveugle de la part du pouvoir contre les populations civiles. L’échec de cette tentative de putsch a acculé le régime tchadien à une chasse aux sorcières. A défaut d’être à même de poursuivre les insurgés jusqu’à leur base arrière, l’armée tchadienne s’est livrée à une chasse à l’homme en procédant à la mise aux arrêts des principaux leaders de l’opposition démocratique, Lol Mahamat Choua, Ngarléjy Yorongar et Ibni Oumar Mahamat Saleh.

Après avoir nié dans un premier temps être l’auteur de leur arrestation, le gouvernement tchadien a finalement reconnu, sous la pression de la communauté internationale, avoir « pris Lol Mahamat Choua au champ de bataille » et « ne pas savoir ce qui est advenu des deux autres opposants», imputant du coup leur disparition aux rebelles. La psychose ainsi créée s’est emparée d’une bonne majorité des membres des associations des droits de l’homme, de la société civile, de chefs de partis de l’opposition démocratique et de nombreux journalistes qui ont dû s’exiler ailleurs pour échapper à la vendetta.

La gravité de la situation qui a prévalu au Tchad après la bataille de N’Djamena a par conséquent contraint le gouvernement tchadien à dépêcher trois de ses ministres pour effectuer une tournée à Bruxelles, à Paris puis à New York dans la perspective d’apporter des preuves attestant une « agression ourdie par le Soudan contre le Tchad.» Cette mission a pour vocation de tenter d’obtenir le soutien de la communauté internationale et une condamnation unanime du régime soudanais par cette dernière.

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Le 21 février, une délégation ministérielle conduite par Ahmad Allam-Mi, ministre des Relations extérieures et de l’Intégration Africaine, se rend à Bruxelles. Le commissaire européen au Développement qui a reçu cette délégation exige la libération immédiate des trois responsables politiques enlevés à N’Djamena. Louis Michel a conditionné la prise en considération des doléances du gouvernement du Tchad à la mise en liberté du porte-parole de la CPDC, du président du Comité de suivi de l’accort du 13 août et du leader du parti FAR.

Le 22 février, le chef de la diplomatie tchadienne Ahmad Allam-Mi et le Garde des Sceaux Pahimi Padacke Albert arrivent à Paris pour expliquer les « velléités expansionnistes » du Soudan dont l’«agression des 2 et 3 février » était énumérée comme « la vingt deuxième du genre.» Monsieur Allam-Mi a ouvert la conférence par une introduction succincte à travers laquelle il a sommairement expliqué les tenants et aboutissants de la crise tchadienne. Entre-temps, les exigences du commissaire européen au Développement de la veille ont fait leur effet.

A l’ouverture de la conférence, le ministre des Relations Extérieures et de l’Intégration Africaine annonce à la salle : « Je viens d’apprendre de la part du ministre de l’Intérieur, à N’Djamena, que Yorongar est réapparu. Personne ne l’a arrêté. Il s’est caché en se terrant chez lui pendant tout ce temps pour faire monter les enchères », s’est-il réjouis, ajoutant que « c’est un monsieur qui est connu pour ses frasques.»

Evoquant le cas de l’ancien président Lol, Monsieur Ahmad Allam-Mi explique qu’«il a été appréhendé au champ de bataille en compagnie de Nouri et il a été pris avec d’autres mercenaires », poursuivant qu’«il sera traduit devant la justice conformément à la gravité de son acte.» A propos de Ibni Oumar Mahamat Saleh, le ministre reprend les arguments avancés le 6 février par Kassiré Coumakoye: « les personnes en question étaient dans les zones occupées par les rebelles. Puisque que personne n’a de ses nouvelles, Ibni Oumar Mahamat Saleh aurait été enlevé probablement par les mercenaires», déplorant que « depuis le départ des rebelles, on ne parle que de la disparition des trois personnes.»

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Dans un prospectus distribué en supplément à la déclaration liminaire, l’on voit des images de nombreux symboles de la capitale tchadienne détruits à l’issue des combats et l’exhibition de photographies d’une cinquantaine de rebelles faits prisonniers par l’armée tchadienne. Les intervenants s’en servent comme principal argument pour essayer de convaincre la communauté internationale qu’il s’agit d’une « agression orchestrée par le Soudan pour déstabiliser le Tchad.» Ahmad Allam-Mi s’interroge si l’on peut construire un Etat de démocratie sans stabilité et sans paix. « Il y a une oligarchie au Soudan qui est en train d’alimenter la déstabilisation du Tchad », s’inquiète le ministre et d’ajouter « le Soudan est un pays dangereux, pas seulement pour le Tchad mais pour toute la sous-région.»

Tout au long de la conférence, le Soudan est indexé par le chef de la Diplomatie tchadienne comme « une véritable machine dangereuse en Afrique.» Selon Monsieur Allam-Mi la persistance du problème entre le Tchad et son voisin de l’Est est entretenue par Khartoum. « Il y a des lobbies puissants de pays arabes qui ont leurs intérêts au Soudan qui aliment la situation actuelle au Tchad », a-t-il révélé, appelant par la même occasion la communauté internationale à prendre ses responsabilités pour « mettre la pression contre le régime d’Omar Hassan el Bachir afin qu’il arrête de déstabiliser le Tchad.»

Revenant sur l’accord de paix de Syrte du 25 octobre 2007, le ministre des Relations extérieures explique qu’« au moment de la signature, les politico-militaires étaient au Darfour», sans donner plus de précisions sur ce qu’ils seraient en train d’y faire et comment, d’autant que les personnes indexées ne pouvaient être à la fois le même jour au Darfour [pour faire la guerre contre les populations civiles] et à Syrte pour signer l’accord de la ville du même nom.

S’agissant du déploiement des forces européennes de l’Eufor à la frontière entre la Centrafrique, le Tchad et le Soudan, le ministre Ahmad Allam-Mi, euphorique, détaille que la communauté internationale a insinué au gouvernement du Tchad: « Vous n’êtes pas en mesure d’assurer la sécurité dans la sous-région. Nous allons faire venir une force européenne pour sécuriser les populations civiles déplacées qui ont subi les exactions au Darfour », explique-t-il au passage et de poursuivre que « l’autre mission c’est de dissuader le Soudan de déstabiliser le Tchad mais également dissuader le Tchad de déstabiliser son voisin.»

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La présence du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Pahimi Padacke Albert aux côtés de son collègue Allam-Mi s’inscrit dans une logique d’expliquer à la communauté internationale les raisons pour lesquelles le président tchadien a exprimé sa volonté de « gracier les membres de l’ONG de l’Arche de Zoé ». Les six membres de ladite association ont été déjà condamnés par la Justice tchadienne à de lourdes peines d’emprisonnement ferme et à payer des dommages et intérêts de plus de six millions d’euros aux familles des enfants enlevés. La précieuse aide reçue par le régime de N’Djamena à pouvoir repousser les rebelles hors de la capitale suite à l’attaque des 2 et 3 février a fait accélérer la procédure de grâce des prisonniers Français.

« Le droit de grâce est reconnu par la Constitution tchadienne en son article 89. Il se trouve que l’Arche de Zoè entre dans le cadre de l’accord de coopération signé entre le Tchad et la France en 1976 », explique Monsieur Padacke lors de son intervention. Le Gardes des Sceaux du Tchad va plus loin pour soutenir que « la France a tenu ses engagements vis-à-vis du Tchad dans le cadre des accords de coopération.» Selon le ministre tchadien de la Justice, la demande de grâce est déjà arrivée dans son cabinet. « Le moment venu, il appartiendra au chef de l’Etat d’user de son pouvoir discrétionnaire pour accorder la grâce », a-t-il conclu.

Mardi 11 mars, l’opposant Ngarlejy Yorongar, arrivé cinq jours plus tôt en France (le 6 mars), vient au CAPE donner à son tour sa version des faits. Le député fédéraliste ne fait pas de déclaration liminaire. Il exulte la présence massive des personnes venues écouter la narration de sa longue mésaventure et remercie les « quatre chefs d’Etat qui ses sont mobilisés » dès les premières heures qui ont suivi son enlèvement en vue d’obtenir sa « libération ». Emotif, Monsieur Yorongar énumère une longue liste sans oublier la presse au premier chef qui « a été à l’origine de sa réapparition en vie.» Le deuxième rescapé du kidnapping du 3 février témoigne ses reconnaissances à la communauté internationale en général et aux Tchadiens en particulier pour « le soutien » qu’ils lui ont apporté durant sa détention pour laisser ensuite libre-cour au débat.

Le député fédéraliste explique comment il a été enlevé et par qui. Dans quelles conditions a-t-il vécu sa séquestration et les circonstances dans lesquelles il a pu survivre et avoir la vie sauve mais surtout comment a-t-il pu se retrouver au Cameroun puis en France.

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Récits d’un « revenant »

Le dimanche 3 février 2008, j’ai été brutalisé puis enlevé par les hommes d’Idriss Deby de chez moi vers 17 heures. J’ai été conduit par les militaires de la garde présidentielle dont je connais leur chef de visu, portant un brassard de couleur jaune, dans une prison secrète située à Farcha, à l’ouest de la capitale, près du jardin de Deby. Quand je suis arrivé, j’ai vu Lol assis sur un tapis rouge en train de se préparer pour faire sa prière. On m’a placé sur la chaise que Lol a utilisée. On est distant d’environ deux mètres lui et moi. Je l’ai même entendu dire « faites de moi ce que vous voulez. » Ses bourreaux ont répondu que « ce n’est pas nous qui vous avons emmené ici.» Lol a continué par leur dire « ce n’est pas à vous que je dis ça mais à ceux qui m’ont emmené ici. »

Peu de temps après, Ibni Oumar Mahamat Saleh a été emmené à son tour. Il a été emmené de manière très musclée et était déjà mal en point. On l’a directement conduit dans une cellule car il n’allait pas bien du tout. Ensuite j’ai été emmené à mon tour dans un secrétariat où on m’a fouillé avant de me conduire dans une cellule. Depuis, on a plus des nouvelles de Ibni. J’ai appris qu’un quatrième chef de parti a également été emmené par la suite.

Après mon arrestation, le Directeur d’Afrique-Education a, dès l’annonce de la nouvelle, alerté le président Bongo. Ce dernier est immédiatement entré en contact avec Deby pour lui dire de ne plus commettre l’erreur de tuer Yorongar. Ensuite Wade, Blaise Compaoré et Sarkozy ont intercédé en notre faveur.

Je n’ai jamais eu un contact physique avec les rebelles lors de leur entrée à N’Djamena. Ils ont occupé toute la ville, sauf le réduit de la Présidence de la République qui était encerclée. Mais je n’ai jamais vu de rebelle fut-il un soldat, qui est venu chez moi. Ce sont des affabulations du gouvernement.

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Quel est l’objectif de Deby? Nous sommes à la veille des élections. L’année prochaine il y aura les législatives. En 2010 il y aura également la présidentielle. Si on met en œuvre l’accord du 13 août tel qu’adopté, qui est un accord électoral qui a élagué le code électoral, Deby n’aura pas de chance d’avoir des députés et d’être élu. Donc il faut opérer un nettoyage politique: éliminer les opposants crédibles susceptibles de lui porter ombrage lors de ces élections. Il s’agit du président Lol, de Ibni Oumar Mahamat Saleh, de Kamougué, de Saleh Kebzabo, d’Alingué et de Yorongar.

Un nettoyage politique afin de s’assurer le renouvellement de l’Assemblée nationale en sa faveur et de se faire élire démocratiquement président. Voilà les raisons pour lesquelles Deby a procédé à ce nettoyage politique.

Le 21 février, on me sort vers 2 h du matin, on m’a bandé les yeux, on me jette dans la Toyota, on a fait le tour de la ville et on m’a emmené au cimetière de Ngonba situé au sud de N’Djamena. On m’a allongé, on a enlevé la chaîne et le bandeau et on m’a fait coucher entre deux tombes. On me dit : « Yorongar, est-ce que vous savez ce qui va vous arriver ? » J’ai dis que je le sais mais permettez-moi de prier pour la dernière fois. Il m’a giflé et il m’a dit mais tu n’es pas musulman tu vas prier en quelle langue ? J’ai dis que je vais prier mon Dieu parce que je suis chrétien. Je me suis mis à prier.

J’ai demandé à Dieu de pardonner à mes deux frères qui sont ici avec moi leur péché parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Il m’a encore giflé. J’ai continué ma prière et j’ai demandé à Dieu d’être clément, de les pardonner, d’être miséricordieux. Quand j’ai fini, il s’approche de moi, il me gifle et dis : Monsieur Yorongar on vient pour vous tuer et vous priez Dieu pour nous, vous lui demandez d’être clément et miséricordieux pourquoi ? J’ai dis Dieu est Merveilleux, Dieu est Puissant. Il va vous pardonner. On me fait coucher de nouveau entre deux tombes. Ils se sont retirés à 1 mètre ou 1 mètre 50. Un d’entre eux a tiré deux coups de feu. Les balles sont passées juste à côte parce que ça dégageait la terre et jeter sur moi. Ils ne sont pas revenus demander le reste, si je suis atteint ou pas. Lorsque je les ai vus rentrer dans la voiture et partir, je me suis relevé et ai pris la direction prise par la voiture.

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Comme je suis enchaîné 24 h sur 24 pendant dix-neuf jours, je commençais à avoir les effets de la sciatique invalidante que je traîne et les effets de l’enchaînement. Je titube, je tombe jusqu’à ce que j’arrive quelque part où j’ai vu une hutte. Je suis allé frapper à la porte. Il s’agit d’une hutte qui a été construite par les Eaux et Forêts pour mettre deux gardiens afin de dissuader la population de faire des coupes des arbres pour faire des bois de chauffage. Les deux gardiens sont sortis. Je me suis présenté. Ils se retrouvent être de la même région et l’un d’eux se trouve être un parent à moi. Ils se sont mis à pleurer et je les en ai empêchés.

L’on m’a fait savoir que nous sommes à Ngonba. J’ai demandé à ce qu’on me donne une paire de sandales. Je leur ai dit de m’emmener au rond-point où se trouvent les rues dont une va à N’Djamena et l’autre à Nguéli. Ils m’ont accompagné à cet endroit-là et je suis allé voir un ami qui s’appelle Bourma. Lui aussi s’est mis à pleurer quand il m’a vu. Il m’a fait entrer et m’a préparé du thé. Une fois le thé terminé, je vois ma cousine germaine arriver parce qu’un des premiers qui m’ont vu est allé l’appeler sans me demander.

Vers 6 h du matin, je suis sorti. Quand je suis sorti, le quartier où j’étais a été investi de la brigade mixte pour fouiller et récupérer les objets volés et les rebelles qui se sont cachés dans ce quartier. J’ai marché comme un paysan, très sale, personne ne me demande le reste. J’ai eu une casquette dont je me suis camouflé. J’ai marché jusqu’au bord du fleuve à Nguéli. Heureusement j’ai une parcelle de terrain là-bas donc les gens me connaissent. Je suis entré chez un d’entre eux qui m’a reconnu quand j’ai enlevé la casquette. Il me dit que toi tu sors d’où. On a appris que tu es mort. Tu es un revenant ? Il m’a gardé jusqu’au lendemain.

Le 22 février au matin, il m’a suggéré de passer par le pont ou traverser en pirogue ? J’ai choisi d’être transporté en pirogue pour traverser le fleuve. Je me suis retrouvé à Kousseri (Cameroun). Il m’a donné cent cinquante mille francs CFA. Et c’est avec cet argent que j’ai pris le taxi-moto et suis allé dans un endroit où l’on vend le téléphone portable. J’en ai acheté un parce que c’est le seul moyen de me lier avec l’extérieur. J’ai demandé au vendeur de me trouver quelqu’un qui puisse me louer une voiture pour aller chercher ma famille à Maltam.

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Le vendeur m’a proposé de me louer sa propre voiture pour quatre-vingt mille francs alors que même pour aller de Kousseri à Maroua ça ne coûte que trois mille cinq cents francs. Je lui ai demandé de réduire mais il a refusé et je lui ai déboursé les quatre-vingt mille francs. C’est comme ça que nous arrivons à Maltam. J’ai simulé un autre mensonge en disant au chauffeur qu’on va à Maroua et à notre retour on s’arrêtera à Maltam. A une dizaine de kilomètres de Maroua se trouve un poste de police. Un gendarme voulait nous compliquer la vie. Je lui ai donné cinq milles francs. Il me demande une pièce d’identité. J’ai trouvé que ç’en est trop et lui ai dit que je suis député. Il n’a pas voulu croire vu l’état dans lequel je me trouve parce que les députés camerounais sont bien habillés. Il nous a laissés partir.

A l’entrée de Maroua j’ai pris un taxis-moto pour éviter que les douaniers et les policiers me posent encore des questions. Je me suis fait déposer au bureau de mon neveu. De là, on m’a emmené à Garoua la nuit. De Garoua d’autres cousins m’ont emmené dans un village où se trouve un parent. C’est là où je suis resté depuis tout ce temps. Mais à Maroua j’ai téléphoné au directeur d’Afrique-Education et il m’a dicté le questionnaire auquel j’ai répondu à mon arrivée à Garoua.

Comme les Africains aiment trop jaser et ne gardent pas le secret, les gens commencent à venir me rendre visite dans ce village. Ils n’imaginent pas que c’est dangereux pour moi. Je suis revenu à Maroua. Et comme on a convenu avec le directeur d’Afrique-Education qu’il faut que je me présente seulement le jour de la parution du journal, je me suis présenté chez le gouverneur de l’Extrême Nord, Monsieur Ahmadou Tidjani qui est un homme super, un humain. Il m’a reconnu, m’a accueilli et m’a conduit immédiatement au salon. Il a immédiatement téléphoné à une petite compagnie aérienne pour affréter l’avion mais entre-temps il a téléphoné à Yaoundé en se référant au président Biya qui lui a recommandé de me garder chez lui et de mobiliser suffisamment des forces de sécurité pour assurer ma protection. Parce que le Cameroun est investi de tueurs à gages. Quand Deby s’est rendu compte que j’ai échappé à la mort, il leur a dit ramener-le moi vif ou mort.

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Le gouverneur savait très bien qu’il y a des tueurs partout. C’est ainsi que le dimanche 2 mars, il a téléphoné au représentant du HCR à Kousseri qui est venu m’accompagner à Yaoundé où le gouvernement m’a hébergé dans un hôtel et mis plusieurs gades de corps pour ma protection. Car au Cameroun, Deby fait ce qu’il veut. Il enlève qui il veut et tue qui il veut. Le gouvernement camerounais qui ne voulait pas avoir mon cadavre dans les bras, a pris suffisamment des dispositions pour assurer ma sécurité.

C’est ainsi que le lundi, je vois venir le consul de France qui prend ma filiation pour aller me délivrer un laisser-passer. Quand il est reparti à l’ambassade, il est revenu me dire est-ce que j’ai un passeport? J’ai dit oui. Je me suis fait amener un passeport. J’ai envoyé quelqu’un de Maroua qui a été prendre mon passeport ordinaire qui me l’a amené, je l’ai sur moi. Il a pris mon passeport aller mettre un visa de trois mois dessus et me le ramener avec le billet. Entre-temps le Premier ministre, Monsieur Fillon a fait la déclaration que vous connaissez. C’est ainsi que je me retrouve ici à Paris le 6 mars.

A propos de la commission qui a été mise en place pour faire la lumière sur notre enlèvement, elle ne sera jamais efficace telle qu’elle est composée. Sur onze membres, sept sont proches du gouvernement. C’est un machin, comme dirait le général de Gaule, pour noyer le poisson. Une bonne commission doit être élargie aux associations des droits de l’Homme, aux organisations internationales et le gouvernement du Tchad ne peut être représenté
que par un seul représentant. Si ce n’est pas ça, cette commission n’est qu’un machin.

Concernant la présence militaire de la France en Afrique, j’étais de ceux qui ne sont pas d’accord. Je suis plutôt pour une présence française propre, c’est-à-dire une armée française qui ne se mêle pas des affaires intérieures des Etats. S’il y a par exemple accord de défense, c’est contre l’agression extérieure et non contre les enfants du Tchad.

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S’agissant de mon asile en France, j’ai un visa de trois mois et je n’ai pas encore déposé une demande allant dans ce sens. Ce qui est certain, c’est que je retournerai au Tchad. Deby m’a toujours poussé vers l’asile pour être tranquille. Il se trompe largement. Je ne lui ferai pas ce cadeau, au risque de ma vie. Parce que j’ai soulevé une espérance telle au Tchad que démissionner comme il le veut, je ne le ferai pas. Je retourne au Tchad pour marquer Deby à la culotte. Il sait que je l'ai battu aux urnes en 2001. Je rentrerai au pays pour le battre par les urnes. Plusieurs fois il a voulu m'éliminer physiquement mais n'y est pas parvenu par la grâce de Dieu.

En ce qui concerne ma santé, j’ai été consulté au centre Primo Lévi par mon médecin où l’on m’a prescrit des médicaments et un check up complet pour déterminer si oui ou non j’ai été empoisonné. Il faut donc attendre le résultat de ces examens pour être fixé. Je ne dis pas que je suis empoisonné. Je dis que j’ai des inquiétudes qu’on m’ait empoisonné. Pourquoi ? A défaut de me loger la balle dans la tête comme il l’a promis, toute piste est bonne. Idriss Deby m’a fait arrêter pour diffamation en juin 1998. Il m’a fait condamner par sa justice à trois ans de prison. Un jour, le président Clinton a envoyé le président Aboubakar du Nigeria pour faire pression afin de me faire libérer et que le président Aboubakar me ramène à Abuja. Deby lui dit si je fais ça je perds la face. Quand votre avion va décoller, je libère Yorongar.

Il a convoqué soixante cadres de ma région natale pour leur dire : essayer de le convaincre. Sinon la prochaine fois c’est moi-même qui vais lui loger une balle dans la tête. Et cette fois-ci il n’y aura pas d’arrestation, de prison ou d’intervention. Deby voulait faire ça. En 2001 quand je l’ai battu à plate couture, il a vu que je suis dangereux pour son pouvoir. Par conséquent il était prêt à me loger une balle dans la tête. C’est pourquoi je dis que c’est possible qu’on m’ait empoisonné. La période d’incubation, avec la technologie, peut durer. Ça peut aller à une semaine, peut-être un mois, trois mois, six mois pourquoi pas. C’est pour ça que j’ai des inquiétudes mais j’espère que ces inquiétudes seraient fausses.

Tchad: gouvernement et opposition s'expliquent à contrario à Paris
La solution au problème tchadien est très simple. Deby a signé des centaines d’accords parcellaires avec les opposants. Qu’est-ce que ça a changé? Rien. Ça n’a jamais ramené la paix au Tchad. Donc il faut essayer autre chose. Ceux qui ont signé des accords avec Idriss Deby sont deux mètres sous terre. Il a fait enlever Monsieur Laokein Bardé au cours d’une négociation. Il l’a emmené à Moussoro le torturer, le brûler vif. Quant à Abbas Koty, alors qu’il était à table, Deby a envoyé son tueur pour lui loger une balle dans la tête. On prend le corps on lui emmène pour qu’il pisse dessus avant de l’emmener enterrer dans le reboisement de Moursal. Le ministre de la Défense, Mahamat Nour qui a signé un accord avec lui, il l’a empoisonné au cours d’un voyage avec lui à Pékin et l’a accusé d’avoir fait un coup d’Etat. Il semble qu’il est dans le coma s’il n’est pas mort déjà. Et tant d’autres.

Pour moi, il faut un dialogue inclusif. Regrouper les Tchadiens autour d’une table et discuter. Et je suis de ceux qui proposent à Idriss Deby une immunité à vie. Car il traîne une kyrielle d’affaires mafieuses. On a saisi, à l’aéroport de Roissy ici, des milliards de francs français à l’époque. L’affaire est à la justice. N’eût été son immunité de chef d’Etat, il serait déjà devant la barre. On a saisi sur son conseiller spécial à Düsseldorf 100 kilogrammes de drogue. Le bonhomme est mis en prison pour vingt ans. Il a envoyé le secrétaire général de la Présidence pour négocier. Maintenant il n’est pas inquiété mais le jour où il quitte la Présidence il risque d’être inquiété. Donc on lui accorde une immunité à vie et il nous colle la paix. Voilà la proposition que je fais. Il nous faut un dialogue inclusif comprenant les partis politiques de l’opposition démocratique actuellement pourchassée, la société civile, les rebelles et la diaspora tchadienne.

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Ngarlejy Yorongar achève son intervention par une analyse sur le différend qui oppose Omar Hassan el Bachir et Idriss Deby. Pour le député fédéraliste, il est impossible qu’il puisse y avoir de solution au problème qui oppose les deux hommes sans un dialogue inclusif au Tchad. Il pense que Idriss Deby est la principale source du problème. Il explique qu’il a localisé, en 2000, « la cache d’armes que le président tchadien a achetées avec le bonus du pétrole pour créer les rebellions du Darfour.» « J’ai interpellé le Premier ministre d’alors et lui ai montré les factures d’achat d’armes pour la création des rebellions dans le Darfour. Je les ai annexées à ma lettre d’interpellation en tant que député. La Banque mondiale a ordonné l’utilisation de 20 milliards de dollar pour la lutte contre la pauvreté. C’est cet argent que Deby a utilisé pour l’achat des armes qui ont servi à la création des rebellions au Darfour» détaille-t-il.

« La paix au Soudan ne passera que par un dialogue inclusif entre Tchadiens. Parce que c’est Idriss Deby qui équipe, alimente et entraîne les rebellions du Darfour. Il faut donc couper l’herbe sous les pieds d’Idriss Deby en ayant un accord global au Tchad. Le jour où on aura la paix au Tchad, il y aura également la paix au Soudan», a conclu Monsieur Yorongar.

A l’issue de sa conférence, Ngarlejy Yorongar est apparu particulièrement réservé dans ses réponses. Il n’a pas souhaité s’étaler sur les sujets qui fâchent et a reconnu être « téméraire au Tchad mais pas n’importe où.»

Quant au porte-parole de la CPDC, Ibni Oumar Mahamat Saleh, l'on n'a toujours pas de ses nouvelles quarante jours après son enlèvement par la garde présidentielle tchadienne.



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