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A Nicolas Tiangaye, ancien Chef du Gouvernement de Transition


Alwihda Info | Par Alexis Clevis SINGA - 12 Décembre 2014



Cher compatriote,
-ancien Bâtonnier de l'ordre des avocats
-ancien Président et fondateur de la Ligue Centrafricaine des Droits de l'Homme.
-ancien Coordonnateur du FARE (Front pour l'Annulation et la Reprise des Elections)
-ancien Président du Conseil National de Transition
-ancien Premier Ministre de la Transition
-Président du CRPS (Convention Républicaine pour le Progrès Social) et membre de l'AFDT

En m'intéressant aux informations parues ici et là sur la toile concernant mon pays, je suis tombé sur un article signé de vos mains et dont l'intitulé mise en évidence en ces termes: "nous luttons contre les 3M : Le mensonge, la manipulation et la médiocrité", a fait réagir en un quart de seconde mes sens ophtalmologique et cognitif au point de scanner, d'analyser et de comprendre enfin les raisons de votre démission de la vie politique, ouf ! Pardon... de votre "come-back" politique.
Quoi que surprenante comme décision, je dois avouer qu'elle est tout de même louable et pleine d'audace.
Cela fait suite à une série d'interrogations qui semble vous rebuter.
A la lecture du récit, vous apostrophez avec une sophistication qui vous ait singulière le régime de Bozizé et dans une certaine mesure celui des "guerrieros" de Ndjotodia Am Nodroko.
Honneur à vous cher compatriote de reconnaître servir patriotiquement votre pays mais là où je ne vous suis pas, c'est cette subtilité de langage dont vous faite preuve et qui consiste à botteler "erreurs et faiblesses" avec la nature humaine. C'est un raccourci qui est à mon sens fondamentalement maladroit.
Mais revenons sur le fond de vos propos car la forme m'intéresse peu, même si je constate que vous vous érigez en porte parole d'un de vos compatriotes et ami politique qui a servi sous le Président Patassé et qui nous dira surement le moment venu quelle a été sa part de responsabilité en tant que premier ministre dans l'exil forcé d'une partie de notre communauté et la haine entretenue à leur égard car c'est le moment où jamais qu'il faut se regarder et parler franchement.

Monsieur Tiangaye. Permettez-moi de vous dire que vous êtes "unique":

-Unique dans le sens où vous aviez combattu le régime de Kolingba au profit d'une liberté d'opinion menacée et de la démocratie républicaine. Et pourtant, vous étiez assez proche ou du moins en amitié avec certains caciques et ardents défenseurs de ce régime.
-Unique parce que sous Patassé, vous n'avez pas cédé à la tentative de récupération politique alors que d'autres étaient prompts à s'attabler, avec une goujaterie inélégante à la "mangeoire", sans projet sociétal d'ailleurs, pour finalement creuser d'avantage le déficit de la cohésion nationale né de la crise du début des années 90.
-Unique car vous avez pris le risque de protéger à votre domicile certains de vos compatriotes recherchés par des miliciens pour avoir eu le malheur d'appartenir à une autre ethnie.
-Unique pour la simple raison que vous avez bâti votre patrimoine immobilier avec le fruit de vos efforts et non pas avec l'argent public comme certains.
-Unique enfin parce qu vous êtes légitime de jouer un rôle politique au vu des témoignages et des faits passés qui vous honorent.
Voilà pourquoi. votre nom qui est désormais garrotté à ces faits et témoignages pouvait fédérer bon nombre de vos compatriotes en commençant par moi même d'ailleurs.
Cher Nicolas Tiangaye; vous, Gabriel Faustin Gbodou, Edouard Franck et bien d'autres ont fait l'histoire judiciaire de ce pays et contribué modestement à l'éclosion d'une génération référente, admirée au delà de nos frontières par bon nombre d'Africains.
Cependant, vous affirmez vous battre depuis des décennies au moyen des 3P: la Pensée, la Parole et la Plume pour lutter contre les 3M : le mensonge, la manipulation et la médiocrité.
Je relève ici que les "P" de pensée, parole et plume sont en majuscule et que les "M" de mensonge, manipulation et médiocrité sont en minuscule.
J'imagine que c'est usité à des fins stylistiques pour ennoblir ce qui vous caractérise et rabaisser ce qui vous déplaît ou simplement pour nous flatter. Bref, si c'est le cas, alors tant mieux.

L'Accord politique de Libreville sur la résolution de la crise politico-militaire a remis sur le piédestal de l'échiquier politique un membre de l'opposition en l'occurrence vous si je ne m'abuse.
La question que tout homme censé devrait avoir à se poser dans pareilles circonstances c'est de dire: ai-je les épaules assez larges pour supporter le poids des responsabilités qui me sont dorénavant confiées?
Ou même se dire : ai-je les "couilles" assez solides pour asseoir mon autorité, légitimée de toute évidence par cet accord?
En face de vous, il y avait ce nullissime général, artisan de la déshérence d'une armée nationale et qui n'a de militaire que son ombre.
Mais il y a aussi et c'est là l'essentiel, vous et votre conscience, face à l'intolérable c'est-à-dire ce qui heurte le droit, la morale et la dignité humaine.
La déclaration de N’Djamena du 18 avril 2013 a entériné l'accession de la séléka au pouvoir par un coup de force et entraîné de facto la caducité de l'accord politique de Libreville du fait de la disparition pure et simple de la majorité présidentielle issue du règne de Bozizé.
Mais par un jeu formellement subtil, l'esprit de l'Accord de Libreville nous ait servi comme référence juridique pour piloter le gouvernement de transition dont vous aviez la charge.
Dont acte ! Sauf que d'entrée de jeu vous aviez failli.
Dois-je alors rappeler les faits?

Peu après la mise en place du gouvernement d'union nationale de transition et de la charte constitutionnelle de transition du 18 juillet 2013, nous avons constaté que:
-les enlèvements et assassinats sont devenus quotidiens à Bangui ainsi qu'en provinces.
-les pillages et les viols sont fréquents même dans les lieux de culte.
-les maisons des particuliers sont occupées abusivement par les éléments de la séléka.
Le 27 Août 2013, les populations banguissoises, malgré les concerts de casserole en guise d'alerte, n'en peuvent plus face à la barbarie des hommes de Djotodia et convergent vers le tarmac de l'aéroport ainsi que vers différents lieux de culte.
Pas une seule fois, vous n'avez mis pied dans ces lieux pour voir dans quel état de désespoir se trouvaient nos familles. Bien au contraire la force multinationale d'Afrique centrale (FOMAC) dominée par les Tchadiens ont utilisé les bombes lacrymogènes pour contraindre les gens épuisés tant moralement que physiquement par les exactions innommables de la séléka à se réfugier dans les brousses.
Les biens de vos compatriotes étaient acheminés sous vos yeux hors de nos frontières.
Un magistrat que vous connaissez surement a été abattu comme un chien en pleine rue.
Vous étiez toujours le Chef du gouvernement de transition et votre sous ministre de la justice avait interdit toute manifestation.
Qu'avez vous fait pour rappeler à l'ordre ce sous ministre?
Des charniers ont été découverts ici et là à Bangui et ailleurs sans qu'aucun acte fort de votre part soit posé, la population s'est sentie abandonnée.

Oui cher compatriote, vous avez été un collaborateur du régime sanguinaire de Djotodia

Oui, vous nous avez trahi.

Ce qui est plus étonnant encore c'est lorsque vous affirmez avec un brin de complaisance d'ailleurs, que votre démission n'aurait pas changé le rapport de forces au plan politique puisque ce serait un membre de l'ancienne opposition démocratique qui vous aurait succédé et qui se heurterait à la même hostilité de la coalition séléka.
C'est un aveu explicite mettant sous les feux de la rampe votre envie de ne pas céder le fauteuil de premier ministre de cette période de transition à un autre en insultant au passage votre propre conscience - qui j'imagine proscrit toute promiscuité avec le barbarisme - face à l'incongruité des faits caractérisant ces bandits armés.
Vous auriez cafardé, approché les victimes, démissionné par acquit de conscience pour prendre part à la grogne populaire; vous seriez adoubé à ce pour par la majorité de vos compatriotes et ce serait mérité, contrairement à certains qui, par le miracle du saint-esprit s'estampillent malicieusement une virginité politique alors qu'ils ont laissé une trace existentielle sombre marquée non seulement par le vagabondage politique mais aussi par la haine de l'autre.

Vous n'aviez pas besoin d'un poste de premier ministre pour vivre. Alors est-ce raisonnable de s'accrocher au point de dépérir politiquement puisque nuit et jour les cadavres jonchaient les rues, les enlèvements et les pillages constituaient la ration de nourriture obligatoire de chaque centrafricain.
Les rapports des différents organismes faisaient état de la collusion avérée de l'armée tchadienne avec la séléka et aucune initiative venant de vous pour dénoncer cela.
Des expéditions sont organisées pour violer, piller et tuer notamment à Boy Rabe, Ouango, Boeing, Fatima... laissant dire pitoyablement un de vos malheureux ministres d'Etat que ce sont les partisans de Bozizé qu'on cherche à désarmer.
En tant que premier ministre, pourquoi n'aviez-vous pas mis en branle le processus des 3 P pour au moins éclairer vos compatriotes sur leur sort?
Il est inopportun de croire que formuler une demande de désarmement forcé ou de commissions d'enquête suffise à annihiler les assassinats, les enlèvements, les viols et les pillages dont nous étions victimes bien que cela malheureusement ne s'est pas estompé à ce jour.
Pourtant vous même, vous jugez cette initiative salvatrice. N'est-ce pas trop décalé comme propos?
Vous étiez, faut-il le reconnaître, un premier ministre voyageur totalement déconnecté de la population, éloigné de la base, et qui n'a aucune maîtrise de son gouvernement.
Comprenons-nous tout de même; choisir de faire la politique, c'est avoir les ''couilles" pour défendre avec une abnégation démesurée les intérêts de son pays et de son peuple. C'est aussi, privilégier le terrain c'est-à-dire la proximité avec les siens.
La notoriété ne fait pas l'homme, c'est le caractère plutôt qui l'engendre cher compatriote et c'est mon point de vue.

Ceci dit, la démission de Djotodia n'était nullement envisageable compte tenu du caractère illégitime et arrangé de son pouvoir ainsi que des crimes de guerre, des viols et des assassinats commis à l'égard du peuple centrafricain dont il endosse l'entière responsabilité.
En conséquence son sort dépendait de notre détermination à nous organiser en tant que peuple pour l'évincer du pouvoir par "tous moyens", contrairement à vous qui étiez lié à vos compatriotes à travers les différentes crises, depuis les épopées sinistres des Banyamulengué, de la séléka, en passant par les Kodos.
Qui mieux que vous à priori devrait connaitre l'affliction de ce peuple pour ainsi le représenter politiquement ?
Qu'elle fut immense notre désillusion!

Cher compatriote, de ce que vous avez écrit je retiens que les 3 P de vos pensées, de vos paroles et de vos plumes vous ont servi de devenir ce professionnel du droit que vous êtes mais elles vous ont desservi en politique parce qu'elles incarnent à mon sens une rigidité communicative assez bâtarde pour la plupart de nos compatriotes.

Aussi, en essayant d'aller un peu plus en détail, je constate selon vos propres termes que :
-Bozizé en piètre stratège n'a rien fait pour défendre son pays.
C'est un fait. Et c'est pour cette raison justement que votre réussite devait être un pari osé pour inverser la courbe des opinions néfastes vis à vis des centrafricains à l'international.
-Votre démission faisait objectivement le jeu de la coalition séléka.
Alors ça, c'est vous qui le dites.
-Vous n'avez rien à vous reprocher si ce n'est "les erreurs et les faiblesses" liées à votre nature en tant que personne humaine.

J'ai envie de dire, quel culot?

Vous poursuivez en citant deux faits majeurs dont vous êtes à l'initiative en tant que Chef du gouvernement de transition pour sauver la vie de vos compatriotes.
Il s'agit notamment de votre intervention devant le Conseil de sécurité des Nations Unies et la demande de création de commissions d'enquête.

En réalité, vous nous faites part de votre bilan qui - constatons le - se limite à ces deux points évoqués devant le Conseil de sécurité suivis des deux mille morts officiels annoncés, des enlèvements, des pillages, des viols et du terrorisme orchestrés par la bande à Djotodia dont vous portez une lourde part de responsabilité.
En effet, la déclaration de N’Djamena stipule au point 7 que la charge de la sécurité des personnes et des biens, de la restauration de la paix... incombe au gouvernement de transition dont vous étiez le Chef avec des pouvoirs étendus.
Dans l'histoire de notre pays, jamais un premier ministre n'a eu les pouvoirs aussi étendus que vous ; malheureusement vous n'avez pas su capitaliser cette opportunité en affirmant la légitimité de votre autorité par un relatif autoritarisme de circonstance.

Oh! que c'est beau l'angélisme d'après guerre!

Non cher compatriote, assumez le fait que vous n'étiez pas à la hauteur des attentes et de cette noble tâche au lieu de vaticiner en extériorisant des propos du genre : "il n'y auras pas de messie ni d'homme providentiel pour sauver la Centrafrique".
. -Oui vous avez trahi votre propre conscience en faisant fi de ce qui est moralement inacceptable.
-Oui vous avez trahi notre confiance en vous accommodant de la situation du moment.
- Oui vous avez trahi la Centrafrique en acceptant de collaborer avec Djotodia alors que les morts se comptaient par centaines et qu'il organisait avec son réseau la disparition pure et simple de notre identité en tant que nation.

L'histoire retiendra que, de vos 3 P il en ressort les 3 I à savoir: Incompétence, Ignominie et Inconvenance.

J'atteste pour ma part que c'est le caractère qui fait l'homme et le transforme pourquoi pas en l'homme providentiel et que même avec ses relatives suffisances il ne peut s'exonérer de la solitude qu'avec le pardon pour n'avoir pas eu la lucidité de s'offusquer au moment opportun des manœuvres cruelles et politiciennes visant à la déportation, à l'indexation et aux massacres d'une partie de sa communauté.

Patriotiquement.

Fait à Paris, le 12 décembre 2014

Alexis Clevis SINGA



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