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AFRIQUE

Cameroun : les attaques de Boko Haram s’intensifient dans la région de l’Extrême-Nord


Alwihda Info | Par APO - 6 Avril 2021



Des soldats de l'armée camerounaise. © A24
Des soldats de l'armée camerounaise. © A24
Depuis décembre 2020, le groupe armé islamiste Boko Haram a intensifié ses attaques contre les civils dans les villes et villages de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, tuant au moins 80 personnes et pillant des centaines de domiciles, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le gouvernement devrait prendre des mesures concrètes pour à la fois accroître la protection des communautés vulnérables, et s’assurer que la réponse des forces de sécurité face à l'aggravation de la violence soit respectueuse des droits humains.

« Boko Haram mène contre le peuple camerounais une guerre dont le coût humain est choquant », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Alors que la région de l'Extrême-Nord du Cameroun devient de plus en plus l'épicentre de la violence de Boko Haram, le Cameroun devrait adopter et mettre en œuvre de toute urgence une nouvelle stratégie respectueuse des droits pour protéger les civils en danger dans cette région. »

Human Rights Watch a documenté comment une femme kamikaze membre de Boko Haram a fait détoner son gilet explosif et tué des civils en fuite. Des dizaines de pêcheurs locaux ont été tués à coups de machette et de couteau, et un chef de village âgé a été assassiné devant sa famille, comme l’a aussi documenté Human Rights Watch. Les recherches menées par Human Rights Watch suggèrent toutefois que le nombre réel de victimes est encore beaucoup plus élevé, compte tenu de la difficulté à confirmer à distance les détails de telles attaques, qui ne sont souvent pas signalées.

Entre le 25 janvier et le 25 février 2021, Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone avec 20 victimes et témoins de cinq attaques perpétrées par Boko Haram depuis la mi-décembre dans les villes et villages de Blabline, Darak, Gouzoudou et Mozogo, situés dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, ainsi qu’avec quatre membres des familles de victimes, deux travailleurs humanitaires et cinq activistes locaux. Human Rights Watch a également interrogé deux victimes et un témoin de violations des droits humains commises dans la région par des soldats camerounais. Human Rights Watch a passé en revue les informations d’organisations humanitaires et autres organisations non gouvernementales, ainsi que des informations de médias locaux sur les attaques perpétrées dans la région. Human Rights Watch a également consulté des universitaires, des analystes politiques et des représentants de l’Union africaine, de l’ONU et de l’Union européenne.

Human Rights Watch a transmis par courriel ses conclusions à Cyrille Serge Atonfack Guemo, le porte-parole de l’armée camerounaise, le 1er février et de nouveau le 19 mars, en demandant des informations sur les attaques de Boko Haram, les opérations militaires en cours et les allégations spécifiques documentées par Human Rights Watch. Au moment de la publication de ce communiqué, Guemo n’avait pas répondu à nos sollicitations.

Le ministre camerounais de l’Administration territoriale a déclaré le 12 février que la situation sécuritaire dans la région de l’Extrême-Nord était « sous contrôle » et que Boko Haram « vit ses derniers jours ».

L’une des attaques récentes les plus meurtrières a été perpétrée à Mozogo le 8 janvier, lorsque Boko Haram a tué au moins 14 civils, dont huit enfants, et en ont blessé trois autres, dont deux enfants. Alors que des combattants tiraient sur des habitants et pillaient des maisons, une femme kamikaze s’est infiltrée parmi un groupe de civils en fuite, déclenchant sa veste explosive, selon des témoins.

« Au début de la fusillade, je me suis enfui vers la forêt », a déclaré un habitant âgé de 41 ans. « J’ai entendu une puissante explosion et me suis allongé sur le sol. J’ai vu un enfant de sept ans couvert de sang courir vers moi. Il m’a emmené à l’endroit où la kamikaze a fait exploser son gilet explosif. C’était un bain de sang. »

L’insurrection de Boko Haram a débuté au Nigéria en 2009 avant de gagner les pays du bassin du lac Tchad, dont le Cameroun. Les attaques du groupe sont souvent commises de manière indiscriminée, y compris des attentats-suicides dans des zones densément peuplées, manifestement conçus pour maximiser le nombre de morts et de blessés parmi la population civile. Le Cameroun a subi un pic d’attaques au cours de l’année écoulée. Selon un rapport de novembre 2020 du Centre d’études stratégiques de l’Afrique, un groupe de réflexion du ministère américain de la Défense, le nombre d’attaques commises par Boko Haram contre des civils au Cameroun en 2020 était plus élevé qu’au Nigeria, au Niger et au Tchad réunis.

En 2015, l’Union africaine a créé la Force multinationale mixte (FMM), composée de troupes du Bénin, du Cameroun, du Niger, du Nigéria et du Tchad, pour répondre aux attaques de Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Composée de plus de 8 000 soldats, la FMM reçoit les soutiens technique, financier et stratégique de partenaires internationaux, dont l’Union européenne, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. La FMM a mené des opérations militaires conjointes dans le bassin du lac Tchad.

Il est indispensable que le Cameroun et la Force multinationale améliorent la conduite des troupes déployées pour contrer Boko Haram et veiller à ce que les allégations de violations des droits humains qui pèsent contre elles fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites judiciaires, a souligné Human Rights Watch.

Depuis 2014, des organisations de défense des droits humains, y compris Human Rights Watch, ont documenté des violations généralisées et des crimes au regard du droit international humanitaire commis par les forces de sécurité camerounaises déployées dans le cadre d’opérations dans l’Extrême-Nord, notamment des exécutions extrajudiciaires, des arrestations arbitraires, des disparitions forcées, la détention au secret, la torture systématique et le retour forcé de réfugiés.

Le 9 décembre, des soldats du Bataillon d’intervention rapide (BIR), une unité d’élite de l’armée camerounaise, ont arrêté quatre pêcheurs à Dabanga, dans la région de l’Extrême-Nord, les ont roués de coups et emmenés à leur base militaire de Dabanga, où l’un d’eux est décédé, selon deux des pêcheurs et un membre de sa famille. Ceux-ci ont déclaré que les soldats les avaient accusés d’être des membres de Boko Haram. Ils ont aussi affirmé avoir vu les soldats contraindre l’un des pêcheurs arrêtés à sortir de la cellule peu après leur arrivée, et l’emmener avec eux.

Un membre de la famille du pêcheur décédé a déclaré que des soldats du BIR leur avait remis son corps quelques heures après son arrestation, affirmant qu’il avait succombé à une crise cardiaque. Les deux pêcheurs et le membre de la famille se sont toutefois déclarés convaincus qu’il avait été tué par les forces de sécurité.

Les partenaires internationaux du Cameroun devraient faire pression pour que les responsabilités des violations des droits humains soient établies et œuvrer à renforcer la composante civile de la Force multinationale et de son bureau dédié au respect des droits humains, a préconisé Human Rights Watch.

Human Rights Watch exhorte également le parlement camerounais à tenir une session au sujet de la réponse du gouvernement aux attaques croissantes contre les civils dans la région de l'Extrême-Nord, à fournir des recommandations sur la manière de renforcer la protection des civils, et à solliciter l’aide d’acteurs internationaux si nécessaire.

Le droit international humanitaire, applicable au conflit armé avec Boko Haram, interdit les attaques délibérées disproportionnées ou indiscriminées contre des populations et des biens civils. Ceux qui ordonnent ou commettent de telles attaques avec des intentions criminelles sont responsables de crimes de guerre.

« Avec la montée des attaques de Boko Haram au Cameroun, davantage doit être fait pour protéger efficacement les civils, notamment en renforçant la présence militaire et les patrouilles dans la région de l’Extrême-Nord et en veillant à ce que les soldats respectent les droits des habitants », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « Les partenaires régionaux et internationaux du Cameroun, y compris ceux qui soutiennent la force multinationale, devraient appuyer ces efforts et veiller à ce que leur assistance ne contribue pas à des violations des droits humains. »  



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