Vies brisées dans les marchés de N’Djamena
À peine âgé de 10 ans, Moussa vend du thé dans les couloirs bondés du marché de Diguel. Inscrit uniquement à l’école coranique, il a quitté son village pour rejoindre des cousins vivant déjà dans la capitale. Comme lui, Abdallah, 12 ans, originaire de Moussoro, vend du pain au marché de Dembé pour soutenir sa famille restée au village. Déné, 15 ans, venue de Bedjondo dans le Mandoul occidental, est employée domestique à Goudji pour 20 000 francs CFA par mois, une somme dérisoire qui contribue à l’entretien de ses parents.
Ces récits ne sont pas isolés. Ils reflètent une réalité massive : selon l’UNICEF (2024), 46% des enfants de 5 à 17 ans au Tchad travaillent, souvent dans des conditions précaires et dangereuses. Pourquoi ces enfants ne sont pas scolarisés ?
Déscolarisation et exploitation
« Ces enfants sont extrêmement vulnérables », alerte Senoussi Idriss Ahmat, directeur de la protection de l’enfance au ministère de la Femme et de la Petite Enfance. « Beaucoup deviennent domestiques, d’autres dorment dans la rue ou s’entassent dans des logements insalubres. Leurs droits sont quotidiennement violés », ajoute-t-il.
Les chiffres sont préoccupants : près de 1 enfant sur 2 en âge scolaire n’est pas scolarisé au Tchad (soit environ 3 millions de mineurs), selon l’UNESCO (2023). Dans les zones rurales, moins de 30% des filles achèvent le primaire. C'est d'une gravité extrême pour le développement du pays. Où se situe le Tchad dans ce monde en perpétuelle évolution, lorsque des jeunes ne parviennent pas à se scolariser, à manger à leur faim ? "Pour moi, il faut rester concentré, travailler pour son pays", répète inlassablement le capitaine Ibrahim Traoré, président du Burkina Faso. "La jeunesse africaine doit prendre conscience que son rôle, c'est aussi de se battre sur son continent pour se réaliser, mais ce n'est certainement pas de passer son temps à se divertir dans TikTok", a affirmé Macky Sall, ancien chef de l'État sénégalais, le 28 septembre 2025 dans une interview à H5 Motivation. Pour lui, "demain, c'est l'Intelligence artificielle (IA) qui va gouverner le monde. Si nous ne formons pas notre jeunesse dans ces technologies, alors que nous serons 2,5 milliards d'habitants (...) Il faut qu'on pense à ces sujets là."
D'après World Atlas, l’Iran produit environ 233 695 diplômés en ingénierie par an. l’Inde produit environ 1,5 million d’ingénieurs diplômés chaque année, précise Business Standard. La Russie produit chaque année près de 454 436 ingénieurs diplômés selon des classements internationaux (World Atlas). Le Tchad se situe vraisemblablement parmi les plus faibles en potentiel de production de diplômés (y compris ingénieurs), selon le taux d'inscription dans le supérieur relevé par l'UNESCO (faute de statistiques récentes et comparables sur le nombre annuel d’ingénieurs diplômés).
Des données édifiantes : des chiffres qui expliquent la déscolarisation
D'après les Annuaires statistiques de l’éducation 2022/2023 et 2023/2024 -publiés par l'Institut national de la statistique, des études économiques et démographiques (INSEED) le 24 janvier 2024 et le 31 décembre 2024, et réalisés en appui avec l'UNESCO-, le Tchad présente encore de graves faiblesses structurelles. Le taux brut de scolarisation au primaire plafonne autour de 91–92 %, mais il tombe sous les 30 % dans plusieurs régions sahariennes, alors qu’il dépasse 140 % à N’Djamena. Le taux d’achèvement du primaire reste faible (46–48 %), et encore plus bas chez les filles (42 %). Le taux d’abandon scolaire demeure élevé (15 %) et le redoublement touche plus d’un élève sur sept. Les conditions d’apprentissage aggravent le décrochage : plus de 100 élèves par salle de classe en dur, un ratio de 88 élèves par enseignant formé, et près de la moitié des classes construites en matériaux précaires. Côté infrastructures, seulement 37 % des écoles disposent de latrines et 35 % de points d’eau, alors que plus de 350 000 enfants parcourent plus de 4 km pour rejoindre l’école.
Un problème régional
Le Tchad n’est pas un cas isolé. Dans tout le Sahel, le travail et l’exode des enfants constituent une réalité structurelle. Selon l’OIT (2023) : Au Niger, plus de 50% des enfants de 5 à 17 ans exercent une activité économique, principalement dans l’agriculture et le petit commerce. Au Mali, près de 40% des enfants travaillent, beaucoup dans les mines artisanales et comme domestiques. Un autre pays à titre comparaison : Au Cameroun (zone sahélienne), environ 35% des enfants sont concernés par le travail des mineurs, souvent liés à l’exode vers les grandes villes comme Maroua ou Ngaoundéré.
Cette dynamique traduit une même équation : pauvreté, absence de services publics de base, faible accès à l’éducation, et poids des traditions.
Le Tchad a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention 182 de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants. Le Code pénal de 2017 interdit explicitement l’exploitation des mineurs. Mais, comme le souligne le Comité des droits de l’enfant de l’ONU (2023), « l’application reste largement défaillante », en raison du manque de moyens, de l’absence de mécanismes de suivi et d’une faible sensibilisation des communautés rurales.
Une urgence sociale et politique
Si rien n’est fait, préviennent les experts, l’exode rural des enfants risque d’alimenter un cercle vicieux de pauvreté intergénérationnelle et de fragiliser encore davantage la cohésion sociale dans un pays déjà en proie à l’instabilité.
Les ONG locales comme Voix des Femmes ou CELIAF appellent à renforcer la protection sociale des familles rurales, à développer des programmes de bourses scolaires et à créer de réelles alternatives économiques locales pour éviter que l’avenir des enfants ne se joue dans les rues des capitales.
Une fragilité humaine et sociale qui alimente la stagnation du développement humain
Au cours de la dernière décennie, le Tchad est resté classé parmi les derniers pays du monde en termes d’Indice de développement humain (IDH), selon les rapports annuels du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). En 2015, il occupait le 185ᵉ rang, puis le 186ᵉ en 2016 et 2017, avant de reculer au 187ᵉ en 2018. En 2019, le pays a encore perdu deux places, se situant au 189ᵉ rang mondial. Le classement s’est maintenu à ce niveau en 2020 et 2021, oscillant entre la 187ᵉ et la 190ᵉ place selon les révisions méthodologiques. En 2022, le Tchad se trouvait toujours 189ᵉ (CountryEconomy, d’après les données du PNUD). Enfin, le rapport mondial sur le développement humain publié en 2025 place le Tchad au 191ᵉ rang sur 193 pays en 2023, confirmant sa position quasi constante en queue de classement mondial (PNUD, Human Development Report 2025 , CountryEconomy , Trésor français).
L’IDH mesure trois dimensions clés : la santé (espérance de vie), l’éducation (scolarisation, années d’études) et le revenu. Le rang très bas du Tchad (toujours parmi les cinq derniers au monde) traduit une faible qualité des services de base, en particulier l’école. Le Tchad s'enfonce malheureusement dans un cercle vicieux : faible accès à l’éducation, bas niveau de compétences, faible insertion professionnelle, pauvreté persistante et maintien du pays dans les bas rangs de l’IDH.
Condamné à vouloir rattraper perpétuellement son retard ?
Les réformes, c’est bien, mais leur application effective est encore meilleure. Compte tenu de ses innombrables défis et de son niveau de développement très faible, le Tchad ne peut pas se permettre d’avancer au même rythme que les autres s’il veut espérer combler son retard.
Comme le souligne Peter Thiel dans son ouvrage De zéro à un, certains pays semblent destinés à progresser continuellement, tandis que d’autres risquent de rester en arrière, tentant sans cesse de rattraper leur retard. Si le Tchad ne veut pas rester enfermé dans cette situation, des mesures audacieuses s’imposent.
Le Tchad peut réussir : des solutions existent
Le Tchad peut s'en sortir et relever ses défis, mais doit accélérer la cadence. En plus de veiller à la scolarisation obligatoire et gratuite des mineurs dans le public, sous peine de sanction des parents/tuteurs, le gouvernement doit davantage miser sur les cantines scolaires qui jouent un rôle déterminant dans la lutte contre la déscolarisation au Tchad. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 540 000 enfants bénéficient aujourd’hui de repas scolaires dans plus de 650 écoles. Ces repas contribuent non seulement à améliorer la nutrition des élèves, mais aussi à renforcer leur assiduité et leur taux de réussite, en particulier pour les filles dont la réussite dans les écoles dotées de cantines est 2,5 fois supérieure à la moyenne nationale. Une étude menée à Abéché confirme ces effets positifs, soulignant que les cantines favorisent la concentration et l’apprentissage, même si la qualité des repas reste un enjeu. De son côté, l’UNICEF indique que la présence d’une cantine augmente en moyenne de 2 points de pourcentage la probabilité de promotion d’un élève. C'est un levier concret pour réduire les inégalités régionales, soutenir la scolarisation et endiguer l’exode silencieux des enfants vers les villes.
À peine âgé de 10 ans, Moussa vend du thé dans les couloirs bondés du marché de Diguel. Inscrit uniquement à l’école coranique, il a quitté son village pour rejoindre des cousins vivant déjà dans la capitale. Comme lui, Abdallah, 12 ans, originaire de Moussoro, vend du pain au marché de Dembé pour soutenir sa famille restée au village. Déné, 15 ans, venue de Bedjondo dans le Mandoul occidental, est employée domestique à Goudji pour 20 000 francs CFA par mois, une somme dérisoire qui contribue à l’entretien de ses parents.
Ces récits ne sont pas isolés. Ils reflètent une réalité massive : selon l’UNICEF (2024), 46% des enfants de 5 à 17 ans au Tchad travaillent, souvent dans des conditions précaires et dangereuses. Pourquoi ces enfants ne sont pas scolarisés ?
Déscolarisation et exploitation
« Ces enfants sont extrêmement vulnérables », alerte Senoussi Idriss Ahmat, directeur de la protection de l’enfance au ministère de la Femme et de la Petite Enfance. « Beaucoup deviennent domestiques, d’autres dorment dans la rue ou s’entassent dans des logements insalubres. Leurs droits sont quotidiennement violés », ajoute-t-il.
Les chiffres sont préoccupants : près de 1 enfant sur 2 en âge scolaire n’est pas scolarisé au Tchad (soit environ 3 millions de mineurs), selon l’UNESCO (2023). Dans les zones rurales, moins de 30% des filles achèvent le primaire. C'est d'une gravité extrême pour le développement du pays. Où se situe le Tchad dans ce monde en perpétuelle évolution, lorsque des jeunes ne parviennent pas à se scolariser, à manger à leur faim ? "Pour moi, il faut rester concentré, travailler pour son pays", répète inlassablement le capitaine Ibrahim Traoré, président du Burkina Faso. "La jeunesse africaine doit prendre conscience que son rôle, c'est aussi de se battre sur son continent pour se réaliser, mais ce n'est certainement pas de passer son temps à se divertir dans TikTok", a affirmé Macky Sall, ancien chef de l'État sénégalais, le 28 septembre 2025 dans une interview à H5 Motivation. Pour lui, "demain, c'est l'Intelligence artificielle (IA) qui va gouverner le monde. Si nous ne formons pas notre jeunesse dans ces technologies, alors que nous serons 2,5 milliards d'habitants (...) Il faut qu'on pense à ces sujets là."
D'après World Atlas, l’Iran produit environ 233 695 diplômés en ingénierie par an. l’Inde produit environ 1,5 million d’ingénieurs diplômés chaque année, précise Business Standard. La Russie produit chaque année près de 454 436 ingénieurs diplômés selon des classements internationaux (World Atlas). Le Tchad se situe vraisemblablement parmi les plus faibles en potentiel de production de diplômés (y compris ingénieurs), selon le taux d'inscription dans le supérieur relevé par l'UNESCO (faute de statistiques récentes et comparables sur le nombre annuel d’ingénieurs diplômés).
Des données édifiantes : des chiffres qui expliquent la déscolarisation
D'après les Annuaires statistiques de l’éducation 2022/2023 et 2023/2024 -publiés par l'Institut national de la statistique, des études économiques et démographiques (INSEED) le 24 janvier 2024 et le 31 décembre 2024, et réalisés en appui avec l'UNESCO-, le Tchad présente encore de graves faiblesses structurelles. Le taux brut de scolarisation au primaire plafonne autour de 91–92 %, mais il tombe sous les 30 % dans plusieurs régions sahariennes, alors qu’il dépasse 140 % à N’Djamena. Le taux d’achèvement du primaire reste faible (46–48 %), et encore plus bas chez les filles (42 %). Le taux d’abandon scolaire demeure élevé (15 %) et le redoublement touche plus d’un élève sur sept. Les conditions d’apprentissage aggravent le décrochage : plus de 100 élèves par salle de classe en dur, un ratio de 88 élèves par enseignant formé, et près de la moitié des classes construites en matériaux précaires. Côté infrastructures, seulement 37 % des écoles disposent de latrines et 35 % de points d’eau, alors que plus de 350 000 enfants parcourent plus de 4 km pour rejoindre l’école.
Un problème régional
Le Tchad n’est pas un cas isolé. Dans tout le Sahel, le travail et l’exode des enfants constituent une réalité structurelle. Selon l’OIT (2023) : Au Niger, plus de 50% des enfants de 5 à 17 ans exercent une activité économique, principalement dans l’agriculture et le petit commerce. Au Mali, près de 40% des enfants travaillent, beaucoup dans les mines artisanales et comme domestiques. Un autre pays à titre comparaison : Au Cameroun (zone sahélienne), environ 35% des enfants sont concernés par le travail des mineurs, souvent liés à l’exode vers les grandes villes comme Maroua ou Ngaoundéré.
Cette dynamique traduit une même équation : pauvreté, absence de services publics de base, faible accès à l’éducation, et poids des traditions.
Le Tchad a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention 182 de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants. Le Code pénal de 2017 interdit explicitement l’exploitation des mineurs. Mais, comme le souligne le Comité des droits de l’enfant de l’ONU (2023), « l’application reste largement défaillante », en raison du manque de moyens, de l’absence de mécanismes de suivi et d’une faible sensibilisation des communautés rurales.
Une urgence sociale et politique
Si rien n’est fait, préviennent les experts, l’exode rural des enfants risque d’alimenter un cercle vicieux de pauvreté intergénérationnelle et de fragiliser encore davantage la cohésion sociale dans un pays déjà en proie à l’instabilité.
Les ONG locales comme Voix des Femmes ou CELIAF appellent à renforcer la protection sociale des familles rurales, à développer des programmes de bourses scolaires et à créer de réelles alternatives économiques locales pour éviter que l’avenir des enfants ne se joue dans les rues des capitales.
Une fragilité humaine et sociale qui alimente la stagnation du développement humain
Au cours de la dernière décennie, le Tchad est resté classé parmi les derniers pays du monde en termes d’Indice de développement humain (IDH), selon les rapports annuels du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). En 2015, il occupait le 185ᵉ rang, puis le 186ᵉ en 2016 et 2017, avant de reculer au 187ᵉ en 2018. En 2019, le pays a encore perdu deux places, se situant au 189ᵉ rang mondial. Le classement s’est maintenu à ce niveau en 2020 et 2021, oscillant entre la 187ᵉ et la 190ᵉ place selon les révisions méthodologiques. En 2022, le Tchad se trouvait toujours 189ᵉ (CountryEconomy, d’après les données du PNUD). Enfin, le rapport mondial sur le développement humain publié en 2025 place le Tchad au 191ᵉ rang sur 193 pays en 2023, confirmant sa position quasi constante en queue de classement mondial (PNUD, Human Development Report 2025 , CountryEconomy , Trésor français).
L’IDH mesure trois dimensions clés : la santé (espérance de vie), l’éducation (scolarisation, années d’études) et le revenu. Le rang très bas du Tchad (toujours parmi les cinq derniers au monde) traduit une faible qualité des services de base, en particulier l’école. Le Tchad s'enfonce malheureusement dans un cercle vicieux : faible accès à l’éducation, bas niveau de compétences, faible insertion professionnelle, pauvreté persistante et maintien du pays dans les bas rangs de l’IDH.
Condamné à vouloir rattraper perpétuellement son retard ?
Les réformes, c’est bien, mais leur application effective est encore meilleure. Compte tenu de ses innombrables défis et de son niveau de développement très faible, le Tchad ne peut pas se permettre d’avancer au même rythme que les autres s’il veut espérer combler son retard.
Comme le souligne Peter Thiel dans son ouvrage De zéro à un, certains pays semblent destinés à progresser continuellement, tandis que d’autres risquent de rester en arrière, tentant sans cesse de rattraper leur retard. Si le Tchad ne veut pas rester enfermé dans cette situation, des mesures audacieuses s’imposent.
Le Tchad peut réussir : des solutions existent
Le Tchad peut s'en sortir et relever ses défis, mais doit accélérer la cadence. En plus de veiller à la scolarisation obligatoire et gratuite des mineurs dans le public, sous peine de sanction des parents/tuteurs, le gouvernement doit davantage miser sur les cantines scolaires qui jouent un rôle déterminant dans la lutte contre la déscolarisation au Tchad. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 540 000 enfants bénéficient aujourd’hui de repas scolaires dans plus de 650 écoles. Ces repas contribuent non seulement à améliorer la nutrition des élèves, mais aussi à renforcer leur assiduité et leur taux de réussite, en particulier pour les filles dont la réussite dans les écoles dotées de cantines est 2,5 fois supérieure à la moyenne nationale. Une étude menée à Abéché confirme ces effets positifs, soulignant que les cantines favorisent la concentration et l’apprentissage, même si la qualité des repas reste un enjeu. De son côté, l’UNICEF indique que la présence d’une cantine augmente en moyenne de 2 points de pourcentage la probabilité de promotion d’un élève. C'est un levier concret pour réduire les inégalités régionales, soutenir la scolarisation et endiguer l’exode silencieux des enfants vers les villes.