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« Les manipulations constitutionnelles sont une forme de génocide attentatoire à la morale »


Alwihda Info | Par - 12 Avril 2015


Dans un entretien exclusif accordé à Alwihdainfos, l’un des rares Spécialistes camerounais des relations internationales, le professeur Shanda Tonme, analyse le nouveau code électoral adopté par le Conseil national de transition burkinabé qui interdit aux partisans de Blaise Compaoré de se présenter à l’élection présidentielle. Lisez plutôt.




Alwihda infos : Professeur  Bonjour !
Pr. SHANDA TONME : Bonjour monsieur Nga Etoga
AI : Le conseil national de transition du Burkina Faso, organe mis en place après la fuite de Blaise Compaoré et qui tient lieu de parlement, a adopté une loi qui modifie certaines dispositions du code électoral, en interdisant notamment aux partisans de l’ancien président de se présenter à l’élection présidentielle. Comment jugez-vous cette démarche ?
ST : Ecoutez, nous sommes là en présence de ce que je pourrai appeler une « mesure incapacitante », exactement comme certaines décisions de justice qui privent un citoyen de droits d’éligibilité ou encore prononce la confiscation des biens, la restriction des déplacements suivie du retrait de tout document de voyage, en l’occurrence le passeport. Je tiens à dire qu’il y a toujours des raisons à la base de telles décisions drastiques. Dans le cas d’espèce, c’est la résultante d’une crises politique qui a permis de faire remonter des crimes, des dérapages et des errements graves voire impardonnables en surface. Je peux donc tout à fait comprendre le renvoi d’ascenseur que fait ce conseil qui représente alors le peuple désabusé et nourri de vengeance autant que de quête de nouvelle probité morale.
 Pr. Mais est-ce que vous ne tombez pas dans un certain extrémisme en soutenant cette décision ?
ST : Enfin, qu’appelez-vous extrémisme pour commencer ? J’espère au moins que vous avez une conscience exacte de ce qui est à la base de la révolution des 29 et 30 octobre 2015 au Burkina Faso et laquelle s’est soldée par des morts, des martyrs dont ce pays aurait pu s’en passer. Le balai citoyen qui est un mouvement s’opposant à la révision constitutionnelle à des fins d’institutionnalisation d’une présidence à vie, ce qu’ambitionnait Compaoré et qu’ambitionnent d’autres de la même avidité du pouvoir, a posé comme principe, et c’est de mon point de vue fondamental, que « soutenir la révision constitutionnelle dans ces conditions est un crime politique ». Il y a ici un discours capital voire fondateur au plan normatif, en se situant essentiellement dans la science politique. Or allez plus loin, entrer dans le droit international dans sa traduction objective axée sur son expression la plus novatrice et la plus avancée depuis 1975, et vous vous rendez compte, que « soutenir ce genre de révision constitutionnelle, est objectivement constitutif, non plus uniquement de crime politique, mais de crime contre l’humanité ». Ce n’est que par ce raisonnement qui n’a rien d’extrémiste, que vous pouvez mieux comprendre la démarche du Conseil national de transition burkinabé.
 Pr, n’est-il pas honnêtement possible de parler de violation de la déclaration universelle des droits de l’Homme, quand des citoyens sont privés de droit d’éligibilité ?
ST : Mais attendez, de quoi parlez-vous ? Vous évoquez les droits de l’Homme pour des individus qui devraient plutôt se dire chanceux de n’avoir pas été pendus ou directement envoyés au peloton d’exécution ? Il faut que les Africains commencent à accepter la logique qui est celle de l’entièreté de leurs responsabilités pour des actes criminels actifs ou passifs, implicites ou explicites, directs ou indirects. Les manipulations constitutionnelles sont une forme de génocide attentatoire à la morale, à l’hygiène et à la sécurité publique, dans la mesure où elles mettent en péril, à court ou à long terme, l’ensemble des droits et des libertés reconnus et consacrés justement par les conventions internationales auxquelles les soutiens de Compaoré se réfèrent. A ce propos je saisi l’occasion, puisque vous me la donnez, de vous rappeler que la constitution camerounaise de 1996 établi, mais cette fois sur un fondement discriminatoire et ethno génocidaire inacceptable, qu’un citoyen établi en un lieu du territoire national, fusse depuis des générations, ne peut pas être éligible à certaines fonctions régionales, parce qu’il serait, selon des critères honteux, originaires d’une autre région.
 Pr, Il me semble que la tendance depuis l’avènement de la majorité noire au pouvoir en Afrique du sud est au dialogue et à la réconciliation. Comment expliquer ce qui apparaît comme l’exclusivité de la volonté punitive au Burkina ?
ST : D’abord, laissez-moi vous dire que ce qui s’est passé en Afrique du sud, procède d’accords et d’arrangements très secrets négociés voire imposés par les puissances occidentales qui avaient soutenu le régime d’apartheid et ses fantoches des bantoustans. Mandela s’est vu imposé cette démarche comme un pis-aller, une porte de sortie qui préservait l’essentiel, protégeait des secrets stratégiques à l’instar de la gestion de l’arme nucléaire que possédait le pays, réglait quelques détails cruciaux des enquêtes sur les violations de l’embargo de l’ONU y compris le commerce des armes, et assurait la survie et leur mise progressive à la marge des traitres qui existaient chez les noirs et au sein même de l’ANC. On ne saurait se référer à ce qui s’est passé là-bas comme une bible, un modèle à généraliser. Chaque pays où se déroule des événements graves, des crimes de toute nature, évolue dans un contexte précis, je dirai spécifique qui met en exergue des paramètres objectifs distincts de ceux de tout autre pays.
 Pr, le problème demeure entier, s’agissant de la gestion après ces régimes qui confisquent le pouvoir. Doit-on absolument envisager un balayage de générations entières et de partisans zélés ?
ST : Ecoutez tout dépend de la manière dont ces régimes prennent fin. Il est clair qu’une fin noyée dans un bain de sang et des tueries effroyables entraînera une transition des plus radicales conduite alors par des acteurs sans pitié, poussés par un peuple plus que revanchard. A l’inverse, une fin de régime qui se produit à l’issue d’une simple révolution de palais sans grand drame, créerait tout un autre contexte propice à une transition moins radicale. Il est important à ce niveau, de ne pas écarter le degré de rupture entre les classes sociales sous ces régimes totalitaires ou autocratiques. Plus le fossé est grand à cause de l’arrogance, du pillage, de l’enrichissement insolent mené par certains acteurs du pouvoir, plus la tendance d’une transition sera à des jugements, des condamnations et des punitions sévères. Prenez par exemple le cas de hauts fonctionnaires qui détiennent une centaine de titres fonciers en zones urbaines, ou encore de ceux qui ont immatriculé des villages entiers à leur profit. Ils feront les frais de toute transition, et de la façon la plus terrible. Vous pouvez d’ailleurs y ajouter les cas de promotion fantaisistes ou des succès arbitraires à des concours professionnels par des personnes qui parfois n’ont même pas subit les épreuves. Trop de citoyens pauvres, frustrés, malade ou marginalisé, estiment que leur véritable place est occupée par des tricheurs, des incompétents, des fainéants et des filous. C’est valable dans tous les contextes de mauvaise gouvernance. Vous voyez au Burkina comment des gens ont déserté les bureaux au lendemain de la fuite de Compaoré, parce qu’ils savaient qu’ils n’étaient pas à leur place. Cette image peut se reproduire ailleurs, où des familles entières, des clans, des fratries ou des lobbies villageois ont confisqué les principaux leviers du pouvoir d’Etat.
Pr, Vous qui êtes internationaliste chevronné, ne pensez-vous pas que la radicalisation des transitions politiques est susceptible de menacer les fondements des relations internationales ?
ST : Je crois que nous devons revenir à ce qui constitue le motif premier de notre échange, à savoir la modification de la constitution à des fins impropres et anti républicains. Voyez-vous, monsieur Nga, il n’est point besoin d’avoir fait des études quelconques pour comprendre la valeur, la signification, la substance et le caractère crucial de la constitution. On dit d’ailleurs de la constitution d’un pays, qu’elle est un acte sacré, une charte fondamentale. Dès lors, perçue comme le code génétique, l’ADN d’un peuple, le creuset de son identité et l’expression de son âme profonde, elle ne saurait être soumise aux libres tentations de quelques prébendiers politiques ou de quelques aventuriers extrahumains. C'est un acte ignoble de la plus haute trahison que de jouer avec une constitution comme on joue avec son clavier ou surfe sur le net. Ce qui est en cause dans l’exclusion des partisans de Compaoré au Burkina Faso, c’est l’insolence, la provocation et la condescendance dont faisaient encore preuve ses partisans, quelques jours seulement avant l’éviction de leur demi-dieu.
Et puis, voici un pays qui a conservé durant trois décennies, la mémoire vive d’un des leaders africains les plus charismatiques assassinés lâchement. Vous voulez me dire que le jour du deuil n’est pas encore arrivé ou quoi ?
 Pr, je comprends très bien vos explications, mais je m’en tiens à la préservation par exemple des accords conclus par les Etats. Faudrait-il les renier tout simplement en cas de transition ?
ST : Merci de poser cette question que je trouve déjà intéressante. Je veux déjà vous assurer que même en cas de changement révolutionnaire de régime, il y a ce que l’on appelle en droit international positif, le principe de la continuité de l’Etat et de ses obligations internationales. Toutefois, les dirigeants du nouveau régime sont libres, et ils en ont la pleine latitude, de revisiter, renégocier, amender voire contester et renier certains accords, conventions, pactes et arrangements. Cela s’est vu en Algérie, au Chili, aux Etats unis, en France, un peu partout au lendemain des changements au sommet de l’Etat. Il ne s’agit donc pas d’une démarche uniquement propre à des pays généralement pauvres et situés à la périphérie. Les nations unies ont depuis longtemps adopté et établi, au moyen d’une résolution claire et sans équivoque aucune, le principe de la   souveraineté permanente des Etats sur leurs richesses et ressources naturelles. Ce principe implique en termes de traduction politique, que c’est le peuple, s’exprimant selon et à partir de ce qu’il définit, perçoit et interprète comme étant les vrais intérêts nationaux du pays, qui décide en dernier ressort. Cela veut dire tout simplement que le nouveau régime, émanation directe ou indirecte d’une révolution, sanglante ou pacifique, dispose de la latitude, au nom de cette souveraineté, de son caractère plénipotentiaire et exclusif, de dénoncer tout accord. J’espère que vous êtes au courant que dans certains pays africains, des vastes terres sont en train d’être cédées par les gouvernants à des sociétés multinationales, ou encore, prenons le cas de Bolloré, que des pans entiers de l’économie sont laissés au contrôle de certains grands groupes monopolistiques.
On ne saurait donc parler de remise en cause des fondements des relations internationales, lorsqu’une fois éveillés, émancipés et réveillés par des processus révolutionnaires, des peuples voudront remettre ces situations regrettables et hautement préjudiciables en cause. Vous voyez bien que le nouveau gouvernement grec a engagé une renégociation des accords financiers avec les principales institutions financières internationales. C’est dans l’ordre des choses. Et il est également dans l’ordre des choses que de telles remises en cause, s’accompagnent inéluctablement de l’arrestation et la condamnation des auteurs réels ou cachés de la braderie des intérêts nationaux.
Pr, faudrait-il en conclusion s’attendre à voir de nombreux pays s’embraser et plonger dans des règlements des comptes et des reniements après la chute des régimes qui durent trop longtemps ?
ST : personnellement je ne suis pas pessimiste et je ne partage pas le point de vue des initiatives vengeresses. Vous m’avez interpellé en tant que scientifique et expert, et je me suis exprimé en cette qualité, pour vous dire à quoi renvoi la situation actuelle au Burkina Faso. Maintenant, en tant que citoyen, père de famille et responsable profondément attaché chrétien, je crois à des solutions pacifiques et à des transitions sans effusion de sang. Je vais d’ailleurs plus loin pour vous dire que ma conviction profonde est que les transitions, particulièrement dans des pays où il y a eu durant des décennies une accumulation exponentielle des crimes et des actes de haine, devraient être gérés par des personnes moulées dans l’esprit de tolérance et de pardon. Toute démarche à priori fondée sur la violence induira des effets dévastateurs dont personne ne peut à priori déterminer avec exactitude l’ensemble des conséquences. Par ailleurs, au lieu de perdre le temps en chasse aux sorcières, il est plus utile de se mettre au travail pour rattraper ce qui peut l’être, corriger et réorienter en tant que possible, rassurer et assurer tout le monde. Un vieil adage très prisé par les sages de mon village dit que « pour construire une nouvelle clôture, il est plus judicieux de partir de l’ancienne ». En somme, je ne vois pas comment une transition pourrait adopter comme principe l’exclusion, même s’il ne faut faire attention de ne pas généraliser avec ce qui se passe au Faso.
 Pr, voulez-vous insinuer que la tolérance devrait être à géométrie variable ?
ST : La réalité dechaque contexte devrait pouvoir déterminer la conduite à tenir et le niveau de tolérance acceptable. Il est clair d’avance que les crimes de sang ne sauraient être pardonnés, je me réfère en l’espèce à l’assassinat de Sankara, du journaliste NobertZongo, ou encore des compagnons de Blaise, les capitaine Lingani et Zongo au Burkina, de même que les trois cent disparus du beach au Congo Brazzaville et du journaliste Chebeya en RDC. Cela dit, le principe c’est l’absence de toute exonération pour des actes ayant compromis gravement la vie des gens, les intérêts de la République et la sécurité publique. Par exemple, il me semble évident que les auteurs intellectuelles d’une constitution qui catégorise les citoyens en groupes ayant des droits et d’autres n’ayant pas de droit à un moment donné, sont automatiquement sujets à des sanctions les plus élevées.
L’autre aspect de la relativité de la tolérance tient au comportement des gens après un changement de régime. Je pense personnellement que l’on ne peut pas par exemple reprocher à un enfant, à quelqu’un d’être le fils d’un haut dignitaire d’un régime déchu. Mais si quelqu’un placé dans cette situation, fils d’un haut dignitaire de régime déchu, se comporte avec zèle, provocation et inconscience des fautes de son géniteur, il est bien évidemment susceptibles de catalyser les rancoeurs et d’inciter à des relents de vengeance. Il est par exemple inconcevable qu’n fils de Mobutu, de Bokassa ou d’Hissen Habré se pavanent avec des déclarations et des attitudes qui défient la mémoire historique. Ce genre de personne n’est certes en rien responsable des crimes ou des errements de son géniteur, mais il doit s’astreindre au profil bas, savoir la boucler à défaut de critiquer et de condamner ouvertement son père.
A ce propos, je suis personnellement très choqué par les élucubrations de quelqu’un comme Djibril Bassolé, l’ancien ministre des affaires étrangères et main droite de Blaise Compaoré. Même dans ce qu’il est convenu d’appeler les démocraties avancées, on lui aurait conseillé de fermer son sale bec tout de suite. Il doit comprendre que le sang de Thomas Sankara qu’ils ont versé,  est toujours frais et ne sèchera jamais.
Ce qui demeure malgré tout inacceptable, c’est la répression généalogique. J’insiste sur cet aspect
Pr, L’ONU n’a-elle pas une responsabilité dans les révisions constitutionnelles malhonnêtes que vous dénoncez ?
ST : Evidemment, d’un point de vue strict du droit international positif, la réponse sur la responsabilité mondiale universelle ne fait aucun doute. Les buts et objectifs de l’organisation énoncés dès le préambule de la Charte offrent des pistes précises d’analyse sur la dimension absolue et incontestable de cette responsabilité. Pour autant que les modifications constitutionnelles sont source de crises, de guerres civiles voire de génocides, il y a automatiquement péril en la demeure. En somme il est concevable que les mécanismes du chapitre VII de la charte relatifs au maintien de la paix et de la sécurité internationale, soient concernés de façon directe, immédiate et certaine.
Cela veut dire concrètement que chaque fois qu’il pourra être établi qu’un régime s’oriente vers ce crime, il faudrait déclencher automatiquement une opération de maintien de la paix et de la sécurité internationale. L’opération rentrerait ainsi dans une démarche de caractère préventif. Ne pas le faire équivaut à une non-assistance à peuple en danger.
Professeur Shanda Tonme, merci.
 
Vous pouvez contacter le professeur Shanda Tonme à l’adresse :[email protected]
 
Ismael Lawal
Correspondant d'Alwihda Info à Yaoundé, Cameroun. +237 695884015 En savoir plus sur cet auteur



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