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TCHAD

Tchad : L’État tchadien échoue à protéger les victimes des affrontements entre éleveurs et agriculteurs (Rapport Amnesty)


Alwihda Info | Par - 21 Novembre 2025


Dans son nouveau rapport publié le 20 novembre 2025 et intitulé « Vivre de la terre et mourir pour elle : violations des droits humains liées aux conflits entre éleveurs et agriculteurs au Tchad », Amnesty International dénonce l'incapacité des autorités tchadiennes à protéger les victimes des affrontements armés ni à garantir leur droit à la vérité, à la justice et aux réparations.





Le rapport documente sept vagues de violence entre 2022 et 2024 dans quatre provinces. Ces violences, exacerbées par les pressions climatiques, ont causé 98 morts, plus de 100 blessés et ont laissé des centaines de familles démunies. Selon les données des Nations unies, les victimes de ces affrontements se comptent par milliers ces dernières années.




 

Déclaration d’Amnesty International

 

La Secrétaire Générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, a déclaré :

« Face aux violences récurrentes entre éleveurs et agriculteurs, les autorités échouent à protéger la population de manière adéquate. Les forces de sécurité réagissent souvent tardivement, et les auteurs présumés de meurtres, de pillages et de destructions de biens sont rarement traduits en justice. Cela alimente un sentiment d’impunité et de marginalisation au sein des communautés. »



 

 Des violences meurtrières exacerbées par le changement climatique

 

Les incidents documentés :

Le rapport détaille des cas tragiques, comme l'affrontement de Sandana (Moyen-Chari). Suite à l'intrusion de bétail dans un champ, un conflit en août 2019 a fait sept morts et huit blessés, avec plus de 140 têtes de bétail volées. Une attaque ultérieure, le 9 février 2022 dans le même village, a causé la mort de 13 personnes.



Le rapport mentionne également des attaques moins médiatisées, notamment à Pala Koudja (Logone Occidental) : le 30 août 2024, l’intrusion répétée d’un troupeau a dégénéré en violente altercation, entraînant trois morts et sept blessés. La nuit suivante, des individus non identifiés ont incendié 53 maisons.




Contexte climatique et démographique :



Les tensions sont exacerbées par la pression démographique et les effets du changement climatique d'origine anthropique sur les déplacements des troupeaux, ainsi que la concurrence pour l’accès aux ressources naturelles. L’augmentation des températures dans le centre du pays force les éleveurs à se déplacer ou à s’installer dans les provinces méridionales, où les agriculteurs cherchent, eux, à étendre leur production.

 

Les affrontements sont souvent déclenchés par le piétinement des champs ou des cultures qui bloquent les couloirs de transhumance, et cela peut affecter des communautés entières.


 

Des mécanismes de réponse en échec : Retards d'intervention et impunité

 


L'inertie des autorités :


Malgré l’augmentation du budget du ministère de la Sécurité publique depuis 2022, les autorités peinent à réagir rapidement pour protéger la population. Le ministre en fonction en mai 2023 a confirmé l'existence de « retards d’intervention lorsque des villages sont attaqués ».



Un leader communautaire du Logone Oriental a témoigné :

« depuis 2014, nous avons un problème avec les éleveurs, et je l’ai signalé au chef de canton et au sous-préfet [représentants de l’administration locale], mais aucune réponse n’a été apportée. En 2023, nous avons été attaqués par un groupe d’hommes armés. Le bilan a été de 18 morts et 11 blessés. Nous étions en colère et nous avons déposé les corps sur la route pour protester. »



Compromissions et inefficacité :


L'existence de mécanismes de prévention et de gestion des conflits est minée par leur manque de coordination et leur inefficacité structurelle. De plus, le rapport indique que certains administrateurs locaux, possédant du bétail confié à des éleveurs armés, compromettent la neutralité administrative et facilitent les abus.




L'impunité persistante :


Bien que trois des sept vagues d’affrontements documentées aient abouti à des procès (avec 37 personnes condamnées), l’impunité demeure une caractéristique marquante de ces affaires.

 


Un besoin urgent de solutions structurelles fondées sur les droits humains

 


Obligation de l'État :


« En vertu des lois et normes régionales et internationales relatives aux droits humains, l’État tchadien a l’obligation de garantir la sécurité de tous dans le pays, d’enquêter sur les crimes, d’en traduire les responsables en justice et de veiller à ce que les victimes de ces crimes aient effectivement accès aux tribunaux », a rappelé Agnès Callamard.




Recommandations :



La Secrétaire Générale insiste sur le fait que les effets du changement climatique exigeront des solutions structurelles et durables fondées sur les droits humains. Cela nécessite concrètement de :

  • Renforcer la présence des forces de l’ordre ;

  • Mettre en œuvre une politique proactive de désarmement ;

  • Établir un cadre juridique cohérent pour la transhumance ;

  • Redynamiser les comités conjoints de prévention des conflits ;

  • Mettre en œuvre un plan national d’adaptation au changement climatique.


     

Contexte du rapport

 

Ce rapport s’appuie sur des recherches menées entre mars 2023 et septembre 2025 dans 14 villages de quatre provinces du sud du Tchad. Amnesty International a interrogé 110 personnes, dont 70 victimes et/ou témoins de conflits. Les conclusions du rapport ont été transmises aux autorités tchadiennes le 25 juin 2025, mais aucune réponse n’avait été reçue au moment de la publication.



 

Peter Kum
Peter Kum est un jeune journaliste doté d’une expérience d’une quinzaine d’années dans la collecte... En savoir plus sur cet auteur



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