Accueil
Envoyer à un ami
Imprimer
Grand
Petit
Partager
TCHAD

Tchad : la révision de l’article 77 de la Constitution et ses conséquences sur les institutions


Alwihda Info | Par Daï-Taré Madjorya - 12 Septembre 2025


La révision de l’article 77 de la Constitution décidée le 17 novembre 2023 marque un tournant significatif dans l’organisation des institutions républicaines, en autorisant le président de la République à cumuler cette haute fonction avec la présidence d’un parti politique, en l’occurrence le Mouvement Patriotique du Salut (MPS).


Tchad : la révision de l’article 77 de la Constitution et ses conséquences sur les institutions
Cette modification constitutionnelle remet en cause un principe fondamental qui avait jusque-là exclu ce type de cumul, même dans les périodes les plus marquées par le parti unique, car la Constitution tchadienne n’avait jamais inscrit explicitement la possibilité pour le chef de l’État d’exercer un mandat partisan en parallèle à ses fonctions républicaines.

En permettant désormais au président de la République de diriger en même temps un parti politique, la révision expose les institutions à un risque manifeste de confusion des pouvoirs et d’instrumentalisation à des fins partisanes, ce qui peut compromettre la neutralité et l’impartialité nécessaires à l’exercice du pouvoir exécutif.

En effet, le fait que le président agit au nom de son regroupement politique au plus haut niveau de l’État fait peser des menaces sur la séparation des rôles dans les domaines civils, judiciaires et administratifs, risquant d’affaiblir les contre-pouvoirs et de brouiller les responsabilités, avec un réel danger pour la démocratie républicaine.

Par exemple, des décisions prises par le président dans l’exercice de ses fonctions pourraient être influencées par des considérations partisanes, plutôt que par des impératifs d'intérêt national ou d'équité. Ainsi, des nominations à des postes clés dans l’administration ou la justice pourraient être biaisées par des loyautés partisanes, compromettant ainsi l’indépendance de ces institutions.

Cette réforme constitutionnelle a suscité des critiques virulentes de la part de certains acteurs politiques et juridiques. Yacine Abdramane Sakine a dénoncé avec ironie cette situation inédite en notant que « nous n'avons jamais vu au monde, un Président de la République en exercice signer un acte officiel pour convoquer le congrès d'un parti politique », illustrant ainsi l’ampleur de la transgression des usages institutionnels traditionnels.

Cette citation souligne non seulement l’exceptionnalité de la situation, mais aussi son potentiel déstabilisateur pour les normes établies concernant la séparation des pouvoirs. Claudia Hoinaty, présidente intérimaire du parti Les Transformateurs, souligne à juste titre que “la Constitution, en tant que loi suprême incarnant la volonté populaire et garantissant l’État de droit, ne doit pas être modifiée à la légère ou sous l’effet de conjonctures politiques temporaires.”

Son observation renvoie à la nécessité de préserver la stabilité et la pérennité des principes fondamentaux sur lesquels reposent les institutions démocratiques, tels que le respect des droits humains et l’égalité devant la loi. Par ailleurs, cette révision ne fait pas l’unanimité au sein de la classe politique.

Bien qu’elle soit soutenue par plus de 130 partis politiques tchadiens qui y voient un moyen de légaliser l’appartenance politique du chef de l’État et, selon eux, de renforcer la démocratie et la responsabilité politique, cette vision est contestée par des voix critiques qui pointent l’érosion de la fonction présidentielle.

Le soutien d’un large éventail de partis pourrait être interprété comme un soutien à une forme de cooptation institutionnelle, où la préservation du pouvoir politique prend le pas sur la nécessité d’une gouvernance véritablement démocratique. Sur le plan juridique, Me Ramadan Souleymane met en garde contre les conséquences perverses de cet abaissement du caractère sacré de la fonction présidentielle.

L'idée que le président, aussi chef de parti, puisse être soumis à des poursuites devant des juridictions ordinaires met en lumière une contradiction entre l’immunité constitutionnelle et la gestion politique, ce qui pose un véritable problème quant à la protection de la dignité et de l’autorité de la fonction présidentielle. Cela soulève aussi la question de la responsabilité politique : dans quelle mesure un président partisan pourrait-il être tenu responsable pour des actions perçues comme répréhensibles, notamment lorsqu'elles peuvent être motivées par des intérêts électoraux personnels ?

Cette révision constitue donc une double problématique : elle ouvre la porte à une concentration excessive du pouvoir entre les mains d’une seule personne et soulève des questions sur les limites de l’immunité présidentielle et sur la nature même des relations entre l’État et les partis politiques dans le cadre de la gouvernance. Cela pourrait également influencer la manière dont les citoyens perçoivent la fonction présidentielle, conduisant à un désenchantement vis-à-vis des institutions publiques si ces dernières sont perçues comme agissant principalement au bénéfice d'un parti plutôt que de l'ensemble de la population.

La révision de l’article 77 bouleverse la structure institutionnelle républicaine en introduisant un cumul inédit et potentiellement dangereux dans un régime qui, jusque-là, s’était attaché à préserver la neutralité institutionnelle du chef de l’État. Le débat soulève des enjeux profonds quant au respect de la séparation des pouvoirs, à la protection de l’État de droit et à la garantie de la démocratie multipartite, tout en interrogeant la légitimité même de cette réforme face aux impératifs constitutionnels et à l’intérêt général.

L’évolution future de cette réforme et son application effective détermineront si la République du Tchad parvient à concilier cette nouvelle organisation avec ses principes fondamentaux ou si elle s’engage vers une forme d’institutionnalisation d’un pouvoir partisan pouvant affaiblir l’équilibre républicain.



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)